Nouvelle / La photo de fiançailles d’Ida

Par Gaëlle Chamarande

estompe.fr

Ida se demande ce qu’elle fait là. Toute menue, toute droite dans sa lourde robe noire. Hier encore, elle dansait et riait, enivrée, extravertie. Hier, elle était la divine Ida : celle qui fait tourner les têtes en montant sur les tables.

Et la voilà toute sage. Les cheveux bien mis, retenus par un collier délicat qui ne lui ressemble pas. Les perles, elle a l’habitude de les porter façon Chanel, pas façon grenouille de bénitier.

Elle a les chaussures bien cirées d’une écolière, des fleurs à la ceinture.

Elle a bien essayé de sourire mais le photographe l’a arrêté net : « On ne sourit pas le jour de ses fiançailles mademoiselle, c’est un jour bien trop sérieux : vous vous engagez pour la vie ».

Vous vous engagez pour la vie… Vous vous engagez pour la vie… Vous vous engagez pour la vie…

Elle a serré plus fort la main d’Ernest et Ernest a serré à son tour. Ils sont trop jeunes. Ils ont peur. Ida connaît le goût des hommes mais pas celui d’Ernest.

Elle ne l’a vu que deux fois entre sa tante et sa grand-mère dans la grande cuisine familiale. Elle sait qu’il aime les tartines de pain au beurre salé et qu’il met de l’eau de Cologne. C’est mince.

Lui ne peut soupçonner qu’il va se marier avec une éphémère-dévergondée. Elle cache bien son jeu la petite Ida, elle donne le change depuis qu’elle a huit ans, depuis qu’elle a compris qu’il fallait mentir pour avoir la paix.

Ernest est grand, il porte bien. Il est fier de poser avec cette frêle jeune fille qui sera un jour sa femme. Elle est petite de taille, c’est mieux, ça lui donne de l’importance. Et l’impression d’être un homme. Il la trouve belle et fragile.

Il ne l’a vu que deux fois entre sa tante et sa grand-mère dans la grande cuisine familiale.

Il sait qu’elle aime le chocolat chaud et qu’elle sent le citron vanillé. C’est mince.

Ida pense qu’elle ne pourra pas l’aimer. C’est un enfant. Mais il a de beaux cheveux, des lèvres fines, il n’a pas les oreilles décollées comme la plupart des hommes qu’elle côtoie. Il se tient bien droit, il ne fume pas. A-t-il déjà fait l’amour ? Sûrement pas. A-t-il déjà seulement dansé le tango? Bu du champagne à quatre heure du matin ? Rêvé d’aller un jour à Broadway ? Ecouté Marie Dubas ? Est-il déjà allé au cinéma ? Quelle vie va-t-il lui faire mener ?

Ida resserre encore un peu plus la main d’Ernest. « Ne bougez plus » crie le photographe, « C’est dans la boîte, la pause est parfaite

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