Cette traduction du Coran est exceptionnelle à de nombreux titres. L’auteur livre ici une édition très richement annotée (notes de bas de page comptant près de 60.000 mots, sans compter l’introduction, les observations générales, la description des méthodes de traduction, la bibliographie, les index, les tableaux, etc.) qui permet de comprendre l’ouvrage mieux et plus rapidement que toutes celles que j’ai pu consulter. Mais l’aspect le plus crucial réside dans le classement des chapitres dans l’ordre de la révélation. Cette présentation décuple l’ampleur et la rapidité de la compréhension du lecteur. C’est une clé absolument essentielle de l’étude du message coranique.
En effet, selon la tradition musulmane, le coran a été révélé progressivement, en l’espace de 22 à 23 ans, parallèlement au parcours de vie du prophète de l’islam. Mais le Coran classique ne reproduit pas cette chronologie – ses chapitres sont classés selon un ordre qui échappe à toute logique reconnaissable. Or, dans la mesure où il s’agit d’un discours, celui de «Dieu» (le Coran entier est censé être la parole de Dieu, selon le dogme musulman), sa chronologie constitue un élément primordial pour en comprendre le message. Comment, par exemple, comprendre le message de la Bible chrétienne sans savoir que le personnage de Jésus vient *après* les prophètes juifs? Comment comprendre un quelconque discours prononcé dans le désordre, comment en résoudre les contradictions apparentes, comment en saisir le développement, l’argumentation, comment en faire une synthèse correcte?
D’autre part, lu dans l’ordre chronologique, le Coran révèle au lecteur le message global que tous les musulmans savants y ont toujours trouvé. Car eux en étudiaient et en étudient la chronologie, à travers les biographies de Mahomet, les collections de hadiths et les exégèses. Lire le coran sous sa forme classique et sans ces autres ouvrages équivaut à examiner les pièces d’un puzzle, éparses, avant sa réalisation – seuls des esprits d’une sagacité très supérieure à la moyenne peuvent y trouver un message à la fois cohérent et pertinent. En revanche, ce message est à la portée de tous les lecteurs lorsque la chronologie des chapitres est respectée.
En bref, les deux premiers tiers du Coran dans l’ordre chronologique sont constitués de rappels, d’avertissements, de mises en garde, de promesse de châtiment éternel (le Coran insiste lourdement sur cet aspect) et de paradis luxurieux, le tout illustré de manière fort répétitive par des récits bibliques (mais dont on ne retrouve souvent les détails que dans des légendes et des apocryphes). C’est également dans cette partie, pendant laquelle Mahomet faisait uniquement œuvre de prédicateur, sans grand succès, dans un environnement d’abord indifférent puis hostile, qu’on retrouve les quelques versets régulièrement utilisés par les apologistes pour démontrer le caractère pacifique de l’islam. À noter toutefois que dans cette partie déjà, le dieu Allah promet aux récalcitrants des châtiments non seulement dans l’au-delà, mais aussi dans cette vie.
Ensuite, avec l’émigration de Mahomet à Médine, le Coran devient normatif et surtout guerrier. Si le Mahomet des premiers temps est tenu d’avertir sans combattre, celui de l’après-Hégire se voit alors autorisé à, puis obligé de faire la guerre, pour se défendre, puis également pour conquérir. Le crescendo chronologique est absolument univoque et débouche sur un ordre de marche sans date limite. Pour plus de détails sur ces aspects, le lecteur peut consulter le recueil, également réalisé par Sami Aldeeb, de l’ensemble des exégèses coraniques sur les versets du jihad: «Le jihad dans l’islam: Interprétation des versets coraniques relatifs au jihad à travers les siècles» On y découvre que les savants classiques, dans leur quasi-totalité et jusqu’à des auteurs tels qu’Averroès, ont compris les choses ainsi: la communauté musulmane a le devoir de faire régner l’islam sur la terre entière et d’y éliminer toute mécréance, par la violence.
Ce Coran dans l’ordre chronologique permet de comprendre très aisément cet aspect, sinon difficile à discerner lors d’une lecture standard du Coran classique. Et c’est probablement son plus grand mérite, à l’heure où le jihad prend des proportions que personne ne peut plus ignorer.
Sinon, l’auteur a choisi de nous montrer une traduction du texte coranique aussi proche que possible de la compréhension qu’en tire un lecteur arabophone attentif aux aspects sémantiques. Ainsi, il utilise autant que possible les mêmes termes pour traduire les expressions identiques dans l’arabe. Il respecte les constructions de phrase originales, jusqu’à conserver les éléments étranges que seul le besoin de créer des rimes justifie dans la version arabe. Il s’en explique longuement et précisément dans une introduction qui vaut à elle seule très largement d’être lue et conservée en guise de référence.
Le texte coranique est présenté sous forme de tableau, avec son équivalent arabe directement en regard. Chaque verset est désigné par une lettre (M ou H) indiquant la période (mecquoise ou hégirienne), le numéro du chapitre dans l’ordre chronologique, le numéro du chapitre dans l’ordre standard et le numéro du verset. Les notes de bas de page indiquent les variantes (autres lectures possibles de l’arabe en modifiant les diacritiques et les voyelles courtes), les traductions divergentes d’autres auteurs, les sources, les abrogations et les explications utiles des termes ambigus.
Outre une bibliographie (qui comprend aussi de nombreuses sources en ligne), l’ouvrage propose un index des noms et notions et des tables séparées des chapitres dans l’ordre chronologique et dans l’ordre classique. Je pense que c’est de très loin la meilleure traduction du Coran disponible pour des lecteurs intéressés par le contenu sémantique de cet ouvrage.
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L’édition arabe est disponible gratuitement ici
L’édition arabe version papier est disponible chez Amazon https://goo.gl/nKsJT4