La politique migratoire du gouvernement n’a pas convaincu la majorité de droite et du centre du Sénat. Les sénateurs ont décidé de rejeter, ce jeudi soir, le budget de la mission asile, immigration et intégration, porté par le gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2019. « Disons-le tout net, le budget 2019 immigration, asile et intégration – pourtant en augmentation de 22,7%, à hauteur de 1,7 milliard d’euros – n’a aucune ambition politique de traiter ces immenses défis », s’est inquiété le rapporteur spécial de la commission des Finances, le sénateur (LR), Sébastien Meurant. « L’absence de lucidité par rapport aux enjeux, ce budget en est imprégné. »
À périmètre constant, l’augmentation du budget de la mission n’est en réalité que de 13% selon le gouvernement, et 12%, selon le Sénat.
Le sénateur du Val-d’Oise a notamment déclaré que le 1,7 milliard d’euros mobilisés ne représentait « qu’une infime partie des coûts liés à l’immigration », estimés selon lui à 6,2 milliards d’euros. La droite sénatoriale s’est surtout indignée devant les chiffres des reconduites à la frontière pour les étrangers en situation irrégulière. « Nous sommes sursaturés, nous traitons mal tout le monde », s’est offusqué Roger Karoutchi (LR).
Un taux d’application des décisions d’éloignement jugé « dérisoire » par le Sénat
Selon le rapport du Sénat, le taux d’exécution des mesures d’éloignement atteignait 12,5% au premier semestre 2018. « Le gouvernement fait semblant d’appliquer les décisions », a dénoncé Sébastien Meurant. Le groupe Union centriste ainsi que les Indépendants – République et Territoires, ont suivi leurs collègues LR dans le rejet du budget.
À gauche, le sénateur (PS) Jean-Yves Leconte a répliqué le « tout rétention » n’était pas efficace. « C’est la méthode qui pose problème aujourd’hui. Ce n’est pas un manque d’argent ».
Son groupe s’est lui aussi opposé au budget proposé par le gouvernement. « Si nous sommes très critiques vis-à-vis de la majorité sénatoriale, nous ne pourrons pas non plus voter les crédits d’une politique qui manque de solidarité vis-à-vis de pays comme l’Italie ou l’Espagne », a-t-il mis en garde.
Des prévisions sur le nombre de réfugiés en 2019 « peu plausibles » pour la commission des Lois
Le rapporteur pour avis de la commission des Lois, François-Noël Buffet (LR) a salué positivement certaines orientations, notamment le volet de l’intégration, « l’éternel parent pauvre des politiques migratoires ». Le sénateur du Rhône a ainsi salué la hausse des moyens consacrés à l’accompagnement professionnel des réfugiés et le doublement des cours de langue et d’instruction civique, « comme le préconisait le Sénat ».
François-Noël Buffet a cependant regretté que le budget soit calqué sur « des hypothèses peu plausibles », « insuffisantes au regard de la réalité des phénomènes migratoires ». « La France reste exposée à une demande d’asile sans précédent », a-t-il averti.
Les prévisions gouvernementales tablant sur une « stabilisation très hypothétique du nombre de demandeurs d’asile » a aussi conduit la sénatrice écologiste Esther Benbassa a parlé de « sous-budgétisation » de ce texte « aux apparences flatteuses ». Elle craint que la « précarité » des exilés ne « s’aggrave ».
Un budget « robuste et complet », selon le gouvernement
De son côté, le ministère de l’Intérieur, représenté ce soir par le secrétaire d’État Laurent Nuñez a qualifié le budget de « robuste » et « complet », un budget qui s’inscrit à une politique « très équilibrée ». « La France reste confrontée à une situation migratoire délicate, qui justifie de poursuivre et amplifier notre action », a expliqué l’ancien numéro 1 de la DGSI.
Le secrétaire d’État a notamment insisté sur la création d’hébergements supplémentaires : 1.000 nouvelles places dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, et 2.500 places en hébergement d’urgence. Il a en revanche assuré que les reconduites aux frontières étaient en hausse : +14% en 2017 et même +20% cette année.
Sur l’immigration économique, Laurent Nuñez a indiqué que le gouvernement serait ferme, en prenant l’exemple de la Géorgie, dont les demandes d’accueil ont augmenté de 289%. « Notre détermination sera totale pour endiguer ce phénomène qui relève d’une immigration économique et qui concerne des personnes qui n’ont pas besoin de protection au sens du droit », a-t-il annoncé aux sénateurs.
Reste que même dans l’examen du budget 2019, certains avaient à l’esprit la journée redoutée de samedi. « Je pense bien que ce soir vous avez l’esprit plus sur samedi que sur les problèmes migratoires », a lâché Roger Karoutchi. « Vous pouvez compter sur mon courage et ma ténacité pour affronter ce qui nous attend samedi, je dis bien affronter », a répondu le numéro 2 de la place Beauvau.