Le 20 septembre dernier, la Cour de cassation a confirmé la relaxe – décidée en première instance et confirmée en appel – de l’acteur et humoriste Nicolas Bedos, qui avait traité Marine Le Pen de « salope fascisante ». Je tire ces données d’un article du Canard enchaîné ayant pour titre « Un arrêt pas salopé ».
Ce qui est dangereux dans l’appréciation qu’à trois niveaux la magistrature a portée sur cette insulte et cette affaire est qu’elle me semble contrevenir à un principe d’autant plus important qu’il constituait le seul guide fiable en matière médiatique et qui relevait de l’absolue distinction à opérer entre l’idée et la personne.
La première est évidemment ce qui peut et doit être contredit, et dès lors que le débat se rapporte à ce registre et demeure dans ce champ, la liberté d’expression mérite d’être respectée, protégée dans sa plénitude.
En revanche, s’en prendre à la seconde, attaquer et insulter l’être dont on récuse les propos, le discours et la politique dénature radicalement ce que la liberté autorise et fait tomber dans une violence indéfendable. En l’occurrence, Nicolas Bedos aurait pu qualifier Marine Le Pen de « fascisante » et, aussi contestable que pourrait apparaître ce qualificatif pour l’intéressée, l’humoriste aurait pu faire valoir qu’il s’agissait d’une opinion de sa part. Mais ajouter le terme de « salope » dénature la critique politique, même extrême, et n’aurait pas dû, à mon sens, pouvoir s’abriter sous le pavillon honorable de la liberté.
Cette approche n’est pas seulement fondée sur du bon sens mais sur cette évidence humaniste que ne mérite d’être combattu que ce sur quoi la responsabilité de l’adversaire est entière. On est comptable de son esprit, de ses concepts, pas de son être ni de son apparence.
Le Canard enchaîné rappelle la relaxe d’un journal qui avait traité de « facho » Jean-Marie Le Pen avec une argumentation sur la légitime « classification politique ». Au nom de ce qui précède, je ne trouve pas absurde cette décision.
En revanche, valider « salope », au prétexte, selon la Cour de cassation, que « la formule ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression », est tout de même très singulier.
Pour ne pas dire laxiste.
Je n’ose imaginer ce que donnerait le développement d’une jurisprudence aussi erratique et partisane. L’insulte légitimée, l’outrage ennobli et consacré ! Le terrain politique et médiatique ouvert à toutes les saletés du langage et à l’ignominie des attaques personnelles !
Je ne le crains pas cependant pour une raison qui représente une véritable préoccupation. N’y aurait-il pas ici ou là une jurisprudence spéciale pour le FN et Marine Le Pen ? Je me souviens qu’un jugement avait considéré normal le fait de l’avoir comparée à un « étron » et cette prime accordée à Nicolas Bedos et à « salope fascisante » paraît rentrer dans cette justice davantage gouvernée par l’idéologie au service du droit que par le droit maîtrisant les humeurs subjectives et démagogiques.
À croire que les Bedos père et fils sont intouchables quand eux-mêmes offensent ! Guy Bedos, dans d’autres circonstances, avait vulgairement insulté Nadine Morano et, à ma connaissance, la justice n’avait rien trouvé à y redire. La partie semble donc inégale entre ces humoristes (?) et leurs victimes.
Je me demande vraiment si l’institution judiciaire, jusqu’à son plus haut niveau, nous aurait fait don du même libéralisme au cas où d’autres femmes politiques que Marine Le Pen se seraient trouvées ainsi traînées dans la boue du langage et du mépris. J’en doute, et elle est quasiment la seule à se voir octroyer ce privilège douteux.
Ce serait le pire service à rendre à la liberté d’expression et à la démocratie que de favoriser, avec bonne conscience, une justice à la tête de la cliente. De cette unique cliente.