A propos du Grand Remplacement…

Tribune de  Nicolas Stoquer

Acte I : Et d’abord, pourquoi grand ?

La polémique actuelle sur « le grand remplacement » qui sévit jusqu’au sommet du Front National relève d’abord de la querelle sémantique. Et il y a une évidente mauvaise foi à faire le procès de tel ou tel qui qualifierait de « fantasme complotiste » la notion « de grand remplacement » au prétexte qu’il s’agirait d’un refus pure et simple de reconnaitre le problème qui est posé à la France par une immigration massive et incontrôlée. On peut très bien juger intolérable et dangereuse la politique migratoire actuelle, sans pour autant être obligé de reprendre la sémantique de la peut-être habile et talentueuse mais par ailleurs bien marginale plume de Monsieur Renaud Camus. Quand à laisser le débat public pollué par une psychologie approximative et de bazar qui apparente et confond une psychose paranoïaque comme le complotisme à une simple névrose fantasmatique, la responsabilité en revient exclusivement à leurs auteurs.

Le jeune directeur du Front National Jeune, Gaëtan Dussausaye, a  inscrit pour partie son argumentation hostile à la notion de « grand remplacement » lors de l’émission du Libre Journal de l’Indépendance sur Radio Courtoisie dans un cadre d’analyse sémantique, ce que ses accusateurs seraient bien inspirés de reconnaître plutôt que de réduire le débat politique à un simple jeu de tweet. A réécouter l’émission dans son intégralité, on remarquera que l’argumentation, partagée par l’ensemble des jeunes invités sur le plateau (l’ensemble de la droite était représentée de la Droite Populaire au Front National en passant par le MPF) part de la nécessité de se réapproprier les mots dans le combat politique plutôt que d’en laisser l’usage exclusif à nos adversaires voir même à nos parfois biens encombrants alliés…

Le « Grand Remplacement », sans être à proprement parlé un mot-valise, s’y apparente autant par le caractère fantastique de l’univers qu’il décrit que des concepts sous-jacents qu’il véhicule. Et d’abord pourquoi grand, ce fameux remplacement (de population) ? L’auteur jamais n’y répond clairement à notre connaissance. Tout au plus, est-il fait référence à un événement qui serait d’une ampleur équivalente à la guerre de cent ans. Ce qui pour le coup renverrait au temps long, pensez donc, 100ans, à sa mesure dans l’espace ! Bigre ! Voici qui s’appelle taper à coté ! Mais qui nous indique néanmoins peut-être un contexte historique, nous y reviendrons. Ce grand remplacement s’apparente à tout le moins à un grand mal comme il existe en matière d’épilepsie, un grand comme un petit mal et pour la mort aussi une grande et une petite… Ce grand remplacement s’inscrit en grand, en lettre capitale comme le péché  qui renvoie à la faute, à la transgression. Par sa grandeur, il indique une forme de répétition, « Tu mourras ! Tu mourras ! ». Car entendons nous bien, cette mort qui est promise au peuple de France n’est pas organique, naturelle mais bien le fait d’un mal d’un ordre surnaturel, produit d’une conscience, obéissant à un plan bien déterminé.

L’auteur du « grand remplacement » joue avec nos peurs les plus intimes et aussi les plus historiques. Le grand remplacement est une grande peur, celle de l’exode de Juin 1940, celle plus millénariste de l’an mille. Le grand remplacement est un Armageddon, un discours sur l’apocalypse. Mais ce qu’il ne dit pas et qui relève de la psychose française, c’est ce que notre société nationale n’a jamais réussi à symboliser, encore moins aujourd’hui qu’hier avec les commémorations du centenaire de 14/18, c’est la Grande Guerre, l’origine du « suicide français », bien avant Zemmour…

Acte 2 : Qui remplace-t-on ?

Au total, la première guerre mondiale a fait 10 millions de mort en 52 mois. 8 millions de français ont été mobilisés, 1.4 millions sont morts, 2.8 millions ont été blessés. Cette guerre a fait 600 000 veuves et 400 000 orphelins. Aucune famille n’a été épargnée et deux sur trois compteront au moins un mort dans leur foyer. En 4 ans de guerre, 10 milliards de lettres ont circulé entre les soldats et leurs familles…

Au moment de pouvoir profiter pleinement, finalement encore jeune et déjà  inactif, de la joie d’être grands-parents, la génération de 68, première à n’avoir jamais connue la guerre, saura-t-elle se souvenir du tragique destin des poilus et de leur famille, et que transmettront-ils à leurs petits-enfants aujourd’hui grands adolescents de cette époque en pleine commémoration du centenaire de la grande guerre ?

Et d’abord, qui sont-ils pour eux ces soldats partis la fleur au fusil en aout 1914 ? Leurs grands-parents ? Ce serait logique à un détail prés… La grande hécatombe décrite plus haut ! On fait souvent des enfants après la guerre, ce sera justement le cas avec les baby-boomers qui auront 20 ans en Mai 68. Car la seconde guerre mondiale a peu tué en France, qu’il y avait pléthore de pères pour faire l’affaire. Mais en 1918…

Tiens et au fait, quand sont-ils nés les parents de nos baby-boomers ? La démographie nous indique les années 20. Ce qui signifie que les parents de ces derniers sont souvent non pas les soldats de 14 mais leurs enfants… Comment va se négocier ce trou dans les générations ?

Les poilus ont laissés femmes, enfants pour partir à la guerre. Ils avaient des filles qu’ils revirent parfois, amputés, abimés, brisés. Ou qu’ils ne revirent jamais. Tombés au champ d’honneur, fauchés par une balle, le corps criblé par des éclats obus, gazés dans les tranchées : « Tu suffoques, elle pleure, tu n’as pas même eu l’occasion de lui dire que tu t’en allais ». Mais les femmes sont ainsi que depuis Eve, elles se rendent justice à elle-même, elles vont se donner, se rendre, ce que la vie leur a pris.  « Elles font des enfants avec l’eternel ». C’est le fils qui remplace le père disparu. Car s’il y a des fils de leur père, il y en a aussi, petits dieux de la maman, qui héritent du père de cette dernière. Les noms se font composés plus qu’à l’accoutumé dans les années 20 nous disent les statistiques, combien de seconds prénoms donnés sont aussi la marque discrète d’un grand-père qui n’est pas revenu ou dans quel état ?

Le fardeau est lourd à porter. La dette symbolique en mettra plus d’un en cessation de paiement. Comment être à la hauteur d’une pareille attente ? De quelle somme de douleurs, de souffrances indicibles sont-ils les héritiers ? Mais ils n’auront pas le choix, ils devront assumer, quitte à s’écrouler en chemin, à tomber un jour dans le trou symbolique, au lieu même qu’une mère abusive leur aura assigné.

Ceux, nombreux, qui seront passés au travers la débandade de 40, guerre perdue par la génération épuisée de 14, feront à leur tour des enfants après-guerre. Mais comment s’étonner que cette nouvelle génération, arrivée à l’âge d’homme, va chercher à refuser un héritage si lourd, d’autant plus pesant qu’il ne peut pas être abordé réellement. « Famille, je vous hais ! » ; « Que crève l’état-nation ! ». Aveugle à leur destin par impossibilité de le regarder en face, ils vont substituer à quelque chose d’indicible le rejet des atrocités de la seconde guerre mondiale. Le crime contre l’humanité, la Shoa va venir en substitution à la boucherie de 14/18. De leur enfer intérieur, ils tireront un diable, Hitler, dont il devrait pourtant se souvenir qu’il fut blessé en 1916, gazé en 1917, humilié au plus profond de son âme de patriote par la capitulation de 1918. Et ce ventre encore fécond d’où est sortie la bête immonde est la traduction de cette sourde inquiétude qui étreint celui qui sait confusément que toute sa vie, il a raté la cible réelle, il a toujours été finalement à coté de la plaque.

Et voici que les enfants des remplaçants, à force de rejeter l’héritage, de refuser de transmettre les valeurs, voient le danger de disparaître avec leur descendance. Les enfants des remplaçants précipitent, à leur insu néanmoins, et en quelque sorte, le grand remplacement à venir. 14/18, monstre innommable, creuse un trou pour toutes les générations qui succèdent. Le suicide français est annoncé. Il se répète de génération en génération jusqu’à la disparition finale.

Acte 3 : La grande reconnaissance

Le complexe occidental tire ses racines de cette guerre civile au cœur de l’Europe. Le grand malaise européen est la conséquence du véritable suicide de notre civilisation sur les champs de bataille de la Marne. Le temps s’est littéralement arrêté à Verdun. Et il est symptomatique que notre nation, la France, première puissance européenne au début du 20ème siècle soit aujourd’hui « l’homme malade » de l’Europe.

Le drame vient du fait qu’au lieu de laisser la nouvelle génération reconstruire ce que la précédente avait anéanti, les survivants et les témoins de l’époque ont voué leurs propres enfants à n’être que les remplaçants de leurs chers disparus, une forme de dédommagement sur la vie. Mais qui remplace ne supplante pas nécessairement… Mais au contraire vivra dans la hantise de ne pas être à la hauteur et revivra surtout la vie d’un autre. L’héritage trop lourd sera ensuite refusé par la génération suivante, qui sera pour sa part hantée par une histoire qui lui échappe. Frappé d’Alzheimer, nous commémorons aujourd’hui une histoire qui s’est substituée à une autre (la seconde guerre qui vient systématiquement en remplacement de la première). Avec l’oubli, vient la mort… Voué à un autre, chaque génération est condamnée à revivre le même chemin de croix. La tranchée de 14/18, tombeau à ciel ouvert, attend d’avoir enseveli toutes les générations qui depuis se succèdent avant de se refermer inexorablement sur les derniers survivants. Le suicide de la nation est encore en cours, il a 100 ans aujourd’hui.

L’appel du néant aura –t-il pour autant le dernier mot ? Ce n’est pas sûr. Voici que les petits-enfants des soixante-huitards descendent dans la rue et réclament un retour aux valeurs. Le chef de l’Etat, dernier des représentants du grand déni, bat des records d’impopularité, il est sifflé en pleine commémoration du 11 novembre. L’outrage au drapeau national qui se prépare pour la fin mai 2015 avec le transfère des cendres de l’auteur du « torche-cul », Jean Zay, ne passera peut-être pas.

Quelle affaire en effet ! Celui qui aurait pu être un des enfants de ces poilus de 14/18, issu d’une famille juive de Lorraine, franc-maçon, ministre du Front Populaire, dont le destin tragique s’achève sous les balles de la milice, verra t-il ses cendres transférer au Panthéon. La patrie reconnaitra –t-elle l’un des siens dans l’auteur de la prose qui suit, issu du poème le Drapeau : « Terrible morceau de drap coulé à ta hampe, je te hais férocement, oui, je te hais dans l’âme, je te hais pour toutes les misères que tu représentes… Que tu es pour moi de la race vile des torche-culs ».

Fin mai 2015, toujours dans la période du centenaire de la grande guerre, on s’apprête donc encore une fois à célébrer une victime de la seconde dont la mort tragique en 1944, effacera, croyons-nous confusément, la honte de 14. Mais voici que l’effacement de la tache originelle exige le plus grand des sacrifices, l’acceptation de la dissolution définitive de la communauté nationale dans la dénonciation sans appel de ce qui lui tient lieu d’ultime signe de ralliement, à savoir son drapeau.

Le drapeau national rythme la vie d’une communauté. Comme le soleil, il se lève le matin, se couche le soir. Il est en berne en signe de deuil. On peut avoir envi de faire corps avec lui au point de s’en draper, faire de ses replis une armure contre l’adversité. L’ennemi peut bien le bruler, il renait tel le phénix de ses cendres. Il est tout sauf un immonde torche-cul. C’est le linceul des grands hommes pour la patrie reconnaissante.

Il n’est ni raisonnable ni acceptable le transfert des cendres de Jean Zay au Panthéon. D’ailleurs, à quoi rimerai une cérémonie au drapeau comme peut l’être finalement une entrée au panthéon, pour l’auteur du torche-cul. Un déni de mémoire et même de volonté de celui qu’on honorerait ainsi. A moins pour l’occasion d’user de drapeaux maculés… Il va falloir s’y opposer, y faire barrage. Et si ce monde cherche à nous déposséder de notre âme, il nous reste encore nos corps. Servons nous en !

Il faudrait aussi songer peut-être un jour à accompagner le soldat inconnu dans sa dernière demeure, le temple de la patrie, le panthéon, où il a sa place véritable plutôt que sous un arc de triomphe qui participe aussi et malgré lui au déni général de ce que fut la première guerre mondiale, pas un triomphe, un tombeau qu’il va falloir refermer. Mais refermer par un acte de grande reconnaissance, pour que les mânes de ces héros tragiques puissent enfin s’apaiser, laissant ainsi en quelque sorte une chance à la vie de continuer.

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