Au cœur de Salammbô, le chapitre décrivant le siège de Carthage m’avait profondément saisi, voici plusieurs années. Il y a une guerre. Un monstre divin. Et des enfants qu’on lui offre. Je me propose de relire ce chapitre à la lumière de Girard.
Carthage est sous siège. Les barbares sont aux portes. La chaleur est écrasante.
Dans sa description des désordres liés au siège, Flaubert chronique un affaissement caractérisé de l’ordre différentiel. Les morts et les vivants sont indiscernables, tous pareillement liquéfiés par la chaleur, la violence et la folie. Des hommes enjoignent le peuple au désordre ; Possédés comme des « bêtes féroces », ils laissent apparaître une violence non ritualisée, qui se déchaîne au hasard. Bientôt, catapultée par les barbares croit-on, la peste apparaît. Le siège se poursuit, l’eau manque, la nourriture aussi.
Les Carthaginois veulent comprendre ce qui leur vaut ce désastre ; ils se rappellent alors qu’ils n’ont « point expédié en Phénicie l’offrande annuelle due à Melkarth-Tyrien ; et une immense terreur les prit. Les Dieux, indignés contre la République, allaient sans doute poursuivre leur vengeance. » (p.302)
Ces dieux sont, nous dit Flaubert, « des maîtres cruels, que l’on apaisait avec des supplications et qui se laissaient corrompre à force de présents ». Ils relèvent donc typiquement de l’ambivalence des théologies archaïques relevée par Girard : parce qu’il est à l’origine des crises de violence indifférenciée, le dieu est supposé mauvais ; parce qu’il est la cause de la résolution de la crise, il est supposé bon. Parmi ces dieux carthaginois, le plus puissant est Moloch, dont on ne peut calmer la fureur qu’en lui offrant une portion de chair humaine. Plutôt que de sacrifier des vies, les Carthaginois ont pris l’habitude de brûler « les enfants au front et à la nuque avec des mèches de laine ». Il s’agit là d’un sacrifice affaibli : on mime l’usage de la « bonne » violence plutôt que d’en autoriser le déploiement[1].
Cependant, à Carthage, l’heure est grave ; il n’est plus temps de berner les dieux par de petits expédients sacrificiels. A-t-on pris à la légère l’impératif rituel ? Il semble que Moloch se soit lassé de ces sacrifices qui ne coûtaient rien à personne : « Il n’y avait pas de douleur trop considérable pour le Dieu, puisqu’il se délectait dans les plus horribles et que l’on était maintenant à sa discrétion. Il fallait donc l’assouvir complètement. » Les grands prêtres se réunissent ; il est décidé de livrer les enfants de Carthage au Moloch.
Quelques pages plus tôt, Flaubert avait écrit ceci : « On avait peur de la faim ; quelques uns parlaient même de bouches inutiles, ce qui effrayait tout le monde. » (p.288) Ainsi,tout le monde s’était effrayé d’une logique économique qui tendait à éliminer les individus inutiles, impropres au combat – autrement dit les enfants. Or, nous l’avons vu, les carthaginois viennent de céder à la logique sacrificielle qui leur demande d’immoler ces mêmes enfants. Chez Flaubert comme chez Girard, la pensée rituelle prime sur la pensée rationnelle ou économique. On ne consent à se délester d’une bouche inutile que si cela nous semble exigé par un Dieu.
Flaubert prend soin de nous préciser que les grands prêtres décrètent « le sacrifice par une périphrase traditionnelle – parce qu’il y a des choses plus gênantes à dire qu’à exécuter. » (p.303). Ce n’est pas tant qu’elles soient gênantes, ces choses ; c’est surtout que l’opération sacrificielle, le déploiement d’une violence bonne pour empêcher le déchaînement d’une violence mauvaise, suppose une étanche frontière entre les deux ; la bonne violence doit à peine se reconnaître comme violence. On la désigne par des périphrases pour qu’elle ne ressemble en rien, malgré son effarante cruauté, à la violence intestine dont on cherche à conjurer le déchaînement. Nous sommes ici au cœur de ce que Girard appelle la « méconnaissance » : les hommes savent bien quelque chose de la violence, mais ils ne savent pas exactement ce qu’ils savent.
Hannibal, le fils du grand suffète Hamilcar, ne peut échapper à la règle ; il doit être sacrifié comme les autres. Et pourtant, le suffète bâillonne et cache son fils, puis fait venir un esclave du même âge, le lave, le couvre de parfum et de dorures, et le présente aux sacrificateurs comme son fils. Hamilcar veut continuer à pratiquer des sacrifices affaiblis, substituer à la précieuse offrande (son fils) une offrande moindre (un esclave).
Cette substitution donne lieu à une scène très courte, mais poignante : le père véritable du petit esclave apparaît « blême, terrible, les bras écartés ». Pour ne pas éveiller les soupçons des prêtres, Hamilcar prétend que l’esclave fut le précepteur de son fils, et qu’il l’appelle « mon enfant » par affection.
Attardons-nous un instant sur cette scène. Nous avons là deux pères. Les deux veulent sauver leur fils ; mais l’un sauve son fils en sacrifiant le fils de l’autre. Il s’agit d’une variante masculine de l’histoire des deux prostituées dans le livre de Salomon, à une différence essentielle près : dans la scène de Flaubert, le geste sacrificiel, l’infanticide rituel, n’est pas une ruse de Salomon pour départager les parents concurrents, mais une menace réelle.
Cet enfant que deux hommes se disputent, l’un pleure pour le sauver ; l’autre pleure pour le perdre. Les sanglots d’Hamilcar sont comme le baiser de Judas : un signe qui désigne l’être à tuer. Je le pleure, donc c’est bien mon fils : prenez-le. Hamilcar va jusqu’à demander qu’on le tue à la place de son fils : il parodie le geste de désintéressement de la fausse prostituée, comme pour prouver d’avance qu’il est le bon père, que l’esclave est le bon fils… « Oh mon fils ! Ma consolation ! Mon espoir ! Ma vie ! Tuez-moi aussi ! Emportez-moi ! » crie-t-il. Comme dans la fable du maître et de l’esclave chez Hegel, c’est celui qui joue l’indifférence à sa propre vie qui triomphe. Hamilcar feint d’offrir sa vie pour prouver sa bonne foi.
Cet épisode inverse ce qu’aujourd’hui l’on appelle les « stéréotypes de genre ». C’est à deux pères qu’on prête un comportement habituellement associé aux mères, et c’est en tant que père que je m’y reconnais. Flaubert joue de cette inversion des rôles, qui compare Hamilcar aux « pleureuses des funérailles ». L’image de douleur intense offerte par l’esclave misérable, « d’apparence abjecte », le visage « convulsé par une angoisse indicible », la voix retenue par ses sanglots, empêché de rien dire par la stupeur, me touche plus qu’aucun autre passage du livre. Au cœur de l’horreur, Flaubert fait émerger brièvement l’image pathétique d’un homme qui n’a pas la pudeur de son émotion, qui ne craint pas d’être féminin par ses pleurs… Le contraire de cette mâle réserve dans la douleur vantée par Monsieur de Norpois dans La Recherche. Les pères sont retenus d’être mères par cet écart différentiel qu’on leur enseigne, et qui les maintient comme à la lisière de leur propre existence sensible. Mais cet esclave vibrant d’émotion échappe à la règle. Dans ce temps déréglé du siège de Carthage, comme à notre époque de crise des différences, il est permis aux hommes d’être un peu femmes. De cela, je ne me plaindrais pas.
Quand le vrai père de l’enfant se découvre à lui, Hamilcar a un instant de stupeur ; il a pris l’enfant comme une chose, la substitution qu’il opérait ne lui causait pas plus de scrupule que s’il avait, comme le chasseur de Blanche-Neige, remplacé un cœur de jeune femme par celui d’une biche. Mais voici un père éploré, que sa douleur même fait accéder au statut de semblable. Hamilcar en est tout ébahi : « Il n’avait jamais pensé – tant l’abîme les séparant l’un de l’autre se trouvait immense – qu’il pût y avoir entre eux rien de commun. », écrit Flaubert. Au-delà des degrés, des grandeurs d’établissement dont se bernent les rois pour se croire distincts des esclaves, voici ces deux hommes réunis par une semblable douleur, une angoisse commune de se voir arraché son enfant. Nous sommes ici à l’endroit précis de l’appel éthique, cette déchirure à l’ordre social – cet appel d’un au-delà de l’être dirait Levinas : le moment où la persévérance dans l’être se fait au détriment d’un autre, où chaque vivant vole à un autre sa « place au soleil ». Hamilcar est requis par un appel impérieux, matérialisé dans le visage de l’esclave ; mais il saura l’éviter, se protégeant derrière l’ordre social dont il occupe la position éminente : « Cela même [la ressemblance entre la douleur de l’esclave et la sienne] lui parut une sorte d’outrage et comme un empiétement sur ses privilèges. » Troublé par cette gémellité inattendue, Hamilcar se réfugie dans ses prérogatives de puissant et redouble son mépris : « Il répondit par un regard plus froid et plus lourd que la hache d’un bourreau ; l’esclave s’évanouissant tomba dans la poussière, à ses pieds. Hamilcar enjamba par-dessus. » Ainsi, Hamilcar réifie l’impudent esclave. Comme nous en avons tous la tendance, il veut n’être entouré que de choses qu’il puisse instrumentaliser au service de sa puissance, de sa propre survie. L’esclave avait laissé son visage de douleur émerger du monde des choses ; Hamilcar l’y renvoie. L’enfant sera tué.
Ce passage déchirant de substitution sacrificielle nous présente une version désabusée de l’épisode vétéro-testamentaire : sur terre, il n’y a pas de roi Salomon pour distinguer les parents éplorés de leurs imitateurs. Sur terre, c’est la mort effective de l’enfant qui départage les pères concurrents : le suffète aura oublié le petit esclave qu’il aura fait tuer, quand son père véritable le pleurera encore. Sur terre, le sacrifice de soi est parodié pour obtenir le sacrifice de l’autre, et aucun roi ne confond les faussaires de l’émotion. Sur terre, les puissants se découvrent parfois semblables à ceux qu’ils dominent, saisis par un appel éthique qui déborde les postures sociales ; mais ils s’efforcent de l’oublier aussitôt en redoublant les fétiches différentiels qui les distinguent de ces misérables : dorures et parfums d’un côté, loques et guenilles de l’autre. On exile de l’humanité commune celui dont la ressemblance nous effraie.
Arrive le moment des immolations. Le désordre est immense. Un prêtre de la déesse Tanit délaisse sa divinité femelle pour adorer Moloch, le Dieu mâle. « La foule, épouvantée par cette apostasie, poussa un long murmure. On sentait se rompre le dernier lien qui attachait les âmes à une divinité clémente. » (p.312) L’équilibre différentiel entre les deux polarités, le Dieu mâle et le Dieu femelle, est rompu ; nous assistons à une société devenue folle, saisie d’une terreur dont elle ne peut guérir qu’en déchaînant la violence.
Le sacrifice a pour ambition de reformer l’unanimité disparue. Cette unanimité englobe jusqu’à la victime, dont il est fréquent qu’on exige, fut-ce symboliquement, le consentement à son supplice[2]. C’est bien ce dont Flaubert est ici conscient : « Il fallait un sacrifice individuel, une oblation toute volontaire et qui est considérée comme entraînant les autres. » (p.313)
Les Carthaginois multiplient les offrandes sacrificielles de plus en plus précieuses ; mais aucune ne suffit. Le peuple en veut davantage ; le dispositif sacrificiel est devenu impuissant à cacher l’appétit victimaire qui le meut, à dissimuler l’essentielle parenté de la violence intestine et de la violence sacrificielle. La cérémonie déchaîne la violence qu’elle prétend conjurer. Nous sommes à l’instant où le sacrifice se détraque ; où se perd la distinction entre violence pure et impure.
Il doit bien se trouver, parmi les prêtres de Moloch, des officiants raisonnables, conscients de la fragilité du dispositif rituel, et qui pourraient dire à la foule, comme le Brutus de Shakespeare : « Soyons des sacrificateurs, pas des bouchers. » Mais que peuvent-ils face à la fureur d’une violence qui s’auto-alimente – car elle fait feu de tout bois. Tout ce qu’on lui jette en sacrifice, loin de l’apaiser, l’avive. Et c’est un enfant, maintenant, qu’on approche du Dieu Moloch, poussé par « un homme pâle et hideux de terreur ». On le jette au feu, « et un chant nouveau éclata, célébrant les joies de la mort et les renaissances de l’éternité. » On en amène d’autres, de plus en plus d’enfants. « Les bras d’airain allaient plus vite. Ils ne s’arrêtaient plus. Chaque fois que l’on y posait un enfant, les prêtres de Moloch étendaient la main sur lui, pour le charger des crimes du peuple (…) ». Les enfants sont bien ici, littéralement, des boucs émissaires, au sens du Lévitique : un animal chargé des péchés collectifs et qu’on envoie mourir pour le salut de tous.
Au moment de sacrifier les enfants, les prêtres vocifèrent : « ”Ce ne sont pas des hommes, mais des bœufs !” et la multitude à l’entour répétait ”Des bœufs ! Des bœufs !” ». Cette substitution symbolique – les enfants sont désignés comme des bœufs – est étonnante : d’ordinaire, c’est plutôt le contraire qui se passe. Les institutions sacrificielles ont tendance à évoluer vers une moindre violence ; le sacrifice animal remplace le sacrifice humain ; puis on en vient parfois à signifier seulement le sacrifice, comme dans ces sacrifices affaiblis recommandés par les Brahmanas. Ici, une société sacrifie au contraire ce qu’elle a de plus précieux, ses propres enfants, enivrée par unemania de nature dionysiaque ; cependant, au moment de faire don de ces extravagantes offrandes, elle semble avoir la pudeur de ses excès ; comme si la foule prenait conscience qu’avec des victimes aussi précieuses, le sacrifice ne peut plus remplir sa fonction, servir de dérivatif à la violence. Ces enfants ne sont pas de ces victimes sacrifiables que choisit le dispositif sacrificiel quand il est en bonne santé, découpant avec sûreté entre les victimes que personne n’aura l’idée de venger, et celles qui laisseront derrière elles l’exigence d’une réparation. En désignant ces enfants comme des bœufs, c’est comme si la foule voulait se prévenir de ce qu’elle sent confusément : le dieu ne peut agréer une telle offrande, puisqu’elle est de nature à redoubler la violence ; ces enfants, il faudra bien les venger[3].
On amène toujours plus d’enfants, on les empile, les prêtres ne parviennent plus à les compter. « A mesure que les prêtres se hâtaient, la frénésie du peuple augmentait ». Flaubert parle de « volupté mystique ». Certains ne veulent pas être en reste et traînent derrière eux leurs enfants jusqu’alors épargnés, « ils les battaient pour leur faire lâcher prise et les remettre aux hommes rouges. »
La folie qui a saisi Carthage épouvante ses ennemis : ce désordre intérieur, s’il affaiblit les forces vives de la ville, annonce le déchaînement d’une fureur dont les barbares savent qu’ils en seront la cible. Cachés derrière les remparts, ils observent la folie meurtrière, le sacrifice devenu dément, « béants d’horreur ».
Ce chapitre m’a effaré à la lecture de Salammbô, description saisissante des crises sacrificielles, quand la violence essentielle réapparaît sous la couche civilisationnelle qui l’avait canalisée dans des formes rituelles qu’on croyait stabilisées. Si ce chapitre m’a autant marqué, est-ce parce qu’à notre époque une telle violence fait retour ?
De nos jours, la guerre n’est plus un duel réglé entre puissances. Elle est une opération de police planétaire. Mais elle est aussi un monstre au lointain, qui attire à sa violence des enfants fascinés.
Certains de ces enfants partent s’offrir au monstre. Ils appellent ça le djihad. On les prend pour les bons élèves d’une religion que leur aventure contribue à ternir davantage. Leur départ est un suicide déguisé. Mais un suicide sacrificiel, profondément raccordé à un religieux archaïque qui fait retour, et qui trouve opportunément dans le corpus islamique de quoi justifier sa violence. Quel ordre ces enfants espèrent-ils restaurer par leur auto-sacrifice ?
Pour peu qu’on tente de le regarder en face, de ne pas l’estomper sous une généalogie politique (Burgat) ou strictement interne au monde musulman (Kepel), cet élan de jeunes gens qui s’avancent comme hypnotisés vers leur propre sacrifice a quelque chose qui excède l’imagination. Quand j’essaie de tenir ce phénomène comme objet de ma pensée, en écartant tout ce qui pourrait l’euphémiser en l’expliquant, je suis saisi d’une terreur sacrée.
Cette terreur sacrée n’est pas une émotion parasitaire qui fait écran à la compréhension du phénomène. Elle est interne au phénomène. Il faut travailler sa compréhension depuis cette terreur même. C’est pourquoi j’ai eu l’impression que revenir à ce chapitre de Salammbô me permettrait de mieux le comprendre. Les liens objectifs entre le djihad et ce passage du roman sont ténus. Ils ne sont nulle part ailleurs que dans le sentiment que j’éprouve quand je pense à l’un et à l’autre, et qui a peut-être davantage à m’apprendre qu’une analyse rationnelle du phénomène.
De ces jeunes gens qui partent s’offrir au monstre, combien se disent – ou pensent tout bas : qu’on les laisse partir ! Bon débarras ! Qu’ils ne reviennent jamais… Combien souhaitent que le Moloch qui sévit en Syrie ait raison de leur jeune vie ? Combien croient notre société purgée par leur disparition ? Si la France pouvait être débarrassée de ses musulmans radicaux par leur départ volontaire vers la mort ! Si le monstre violent que nous avons contribué à faire naître pouvait les dévorer un par un ! se disent les Hamilcar des temps modernes. La guerre en Syrie est notre monstre. Les plus fragiles de nos enfants partent y mourir. Nous multiplions les imprécations contre ces victimes volontaires, pour leur faire endosser la responsabilité de cette violence mauvaise qui les attire, et qui est sans nature commune avec la violence bonne que sèment nos bombes, notre brutalité économique, et cette domination sociale qui s’auto-reproduit et qui est perçue de l’extérieur comme un ordre ethnique.
Notre société n’est-elle pas tentée de s’acquitter de sa dette sacrificielle sur le dos des plus fragiles ? Les plus sacrifiables ? Ceux que personne n’aura le pouvoir de venger… Elle s’offre le luxe de se croire innocente d’une violence que l’on peut intégralement imputer à une religion minoritaire.
Mais l’analogie ne saurait être poussée trop loin. Dans nos sociétés post-chrétiennes, c’est toujours en vain que la cristallisation mythique tente de se refermer. Nous sommes devenus incapables de taire notre sensibilité au discours des victimes. Et le visage bouleversé de l’esclave misérable, à qui l’on prend son fils, nous poursuit, nous condamne, nous élève. Restons en situation de nous faire bouleverser par ces visages…
[1] Girard a décrit cette forme de sacrifice affaibli dans ses études sur les Brahmanas indiennes, dans Le sacrifice, et dans son Shakespeare.
[2] Dans La route antique des hommes pervers, Girard insiste beaucoup sur cet aspect : les fameux « amis » viennent en réalité obtenir le consentement de Job à son martyr.
[3] D’ailleurs, au chapitre suivant, Flaubert formule explicitement cette montée de la violence due au caractère disproportionné de l’offrande sacrificielle : « Ils [les Carthaginois[ éprouvaient comme le besoin de rejeter sur d’autres l’excès de la fureur qu’ils n’avaient pu employer contre eux-mêmes. Un tel sacrifice ne devait pas être inutile – bien qu’ils n’eussent aucun remords, ils se trouvaient emportés par cette frénésie que donne la complicité des crimes irréparables. » (p.320)