Comment prépare-t-on les fameux plateaux-repas servis à bord d’un avion? Pourquoi ont-ils si mauvaise réputation? Les locaux de Servair, leader de la restauration aérienne offrent un accès direct aux pistes de décollage de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, au nord-est de Paris.
Eric Augustine, le chef exécutif de cette filiale d’Air France, nous escorte dans les coulisses des plateaux-repas. Nous voilà au sein de l’unité 1, il y en a six comme celle-ci à Roissy. Servair dispose aussi de cuisines à Orly et dans 25 autres pays. Tout commence au deuxième étage, c’est ici que les recettes sont élaborées. Un long couloir dessert une ribambelle de bureaux, organisés de manière stratégique: un chef cuisinier, un chef de projet et une à deux personnes chargées du prix de revient. Au même étage, une vaste cuisine d’application où les équipes procèdent à des dizaines de tests pour chaque plat. “Il faut six à neuf mois pour mettre au point les recettes”, énonce Cyril Romanet, chef de projet pour la compagnie française. “À pression atmosphérique, les temps de cuisson sont allongés”, ajoute Anne Cazor, ingénieure en agro-alimentaire et docteure en gastronomie moléculaire à Dijon.
À bord, certains ingrédients sont bannis. Les chefs évitent notamment tout ce qui crée de l’aérophagie (pois chiches, haricots secs) puisqu’en altitude, sachez-le, le phénomène est accru. Pas de place non plus pour les produits très odorants type chou de Bruxelles ou maroilles, on vous laisse imaginer pourquoi… L’autre challenge pour les équipes, c’est qu’à 5000 mètres d’altitude, la perception des aliments est différente. “Les fonctions olfactives sont réduites. L’air plus sec entraîne une congestion nasale, on sent donc moins”, résume Anne Cazor. Les chefs doivent se plier à toutes ces contraintes. “Comme on perçoit moins le goût des produits, il faut relever les assaisonnements, jouer sur l’acidité”, explique François Adamski, Bocuse d’Or et Meilleur Ouvrier de France. Ce dernier a mis au point cinq plats pour la classe Business d’Air France.
Autre challenge, notre seuil d’acceptation du sel qui, au sol, varie d’une échelle de 1 à 5, peut varier de -6 à +12 durant le vol. Autrement dit, vous aurez l’impression que le plat est beaucoup trop salé quand votre voisin trouvera qu’il en manque. “Alors, on complexifie les goûts en ajoutant des épices. Pendant que les clients cherchent d’où vient ce goût particulier, ils ne se demandent pas si le plat est trop ou pas assez salé”, s’amuse Eric Augustine. Les plats validés par les différentes compagnies sont décrits sous forme de fiches techniques, envoyées dans les cuisines du sous-sol. Chez Air France, seuls les plats chauds de la Classe Business et de La Première sont élaborés sur place. Pour la classe Economy, des prestataires extérieurs, comme Fleury Michon, sont sollicités. “Servair n’a pas les capacités pratiques et financières de préparer 50.000 repas par jour”, admet Cyril Romanet.
Air France consacrerait en moyenne 4 à 6 euros pour un plateau-repas en classe éco, 25 euros en business et jusqu’à 100 euros en première. Des montants qui varient beaucoup d’une compagnie à l’autre. Ainsi, Japan Airlines, qui fait appel à Servair pour ses vols au départ de Paris débourse plus d’argent -le montant exact demeure confidentiel. Les plats, toutes classes confondues, sont exécutés par le chef-star Hayashi Mitsuaki, pour le plus grand bonheur des clients.
La visite se poursuit au sous-sol. À droite, une première salle, c’est ici que sont réceptionnées toutes les denrées alimentaires. Des membres du personnel les “décartonnent” avant de les stocker. Plus loin, une immense cuisine avec l’atelier de cuisson. Sur une plancha géante, une cuisinière saisit des morceaux de boeuf. Un simple aller-retour, et la viande finira de cuire dans l’avion. “C’est pareil pour les pâtes et les légumes verts que l’on cuit à peine car la cuisson à bord suffit”, précise Cyril, le jeune manager.
Dans une salle adjacente, un espace est consacré à la mise sous vide, une étape qui n’existait pas il y encore cinq ans. “Grâce à cette machine, on cuit en une seule fois des volumes de viande beaucoup plus importants car la durée de conservation est plus longue”, s’enorgueillit l’employé chargé de l’empaquetage. L’autre partie de l’unité s’organise autour des chaînes de fabrication. Un plat du chef François Adamski, le tajine de poulet, est assemblé selon un ordre bien précis. L’assiette en porcelaine est remplie de semoule, on fait un trou au milieu pour laisser la place à une cassolette de sauce. Quelques morceaux de poulet sont disposés sur le dessus. Au bout du tapis roulant, une employée pose un couvercle en métal en respectant scrupuleusement un code couleur: rouge pour la viande, vert pour le plat complet, bleu pour le poisson et alu pour le plat du jour. Ce système bien rodé permet à tous de s’y retrouver et facilite le travail des hôtesses et des stewards dans les airs.
Place au “montage”. Ce terme désigne la dernière étape d’assemblage des plateaux repas avant qu’ils ne soient chargés à bord. La manoeuvre est entièrement automatisée. Sylvie Horn, directrice des relations publiques chez Servair nous présente fièrement la récente acquisition du groupe: un impressionnant bras articulé qui dresse les plateaux et les fait glisser directement dans les trolleys. Les chariots remplis sont stockés dans un hangar réfrigéré. “Ils ne restent jamais là plus de douze heures”, précise Eric Augustine. La dernière pièce de l’unité donne directement sur les pistes. Le chef déclenche l’ouverture d’une des portes, à 100 mètres à peine un avion se prépare au décollage. Les équipes chargent le matériel de bord dans les camions. “À l’exception de l’équipage, des passagers et des valises, tout ce qui rentre dans l’avion passe par ici”, remarque le chef Augustine. Les employés procèdent ensuite à “l’armement”. On remplit chaque galley -la partie de la cabine qui tient lieu de cuisine- avec les plateaux repas et le matériel de bord.
Avec ces cassolettes, le steward n’a pas fait un four.Avec ces cassolettes, le steward n’a pas fait un four.Air France
Dans le Boeing 777 s’amorce dès lors le ballet des hôtesses et des stewards. Une heure après le décollage, le personnel de bord s’active dans les minuscules espaces dédiés à la restauration. Le réchauffage est une étape cruciale et délicate. François Adamski confirme: “si le poisson est cuit deux ou trois minutes de trop, c’est fichu”. “Mais à bord, on ne dispose pas de four à chaleur ventilée et on ne peut le régler que sur trois températures différentes: 130, 150 ou 170°C”, explique le chef de cabine. Les cassolettes sont livrées avec des instructions très précises sur le réchauffage des plats. Le cabillaud du chef devra ainsi être réchauffé dix minutes à 170 °C, rester quelques minutes à four éteint avant de recuire à 130°C. “C’est parfois trop compliqué, les équipes ne peuvent pas toujours suivre ces instructions à la lettre”, nous confie Adamski.
Le steward sort les plats du four, une assiette de boeuf finit par terre. Quand il s’agit de sortir 80 plats du four et les disposer dans les trolleys, tout ça dans moins de trois mètres carrés, vous avez intérêt à être adroit. “On a beau faire de notre mieux, on ne peut pas assurer aux 200 clients de la classe éco un plat chaud”, nous confie une hôtesse. Parfois, turbulences obligent, les plats restent plus longtemps que prévu dans les fours. Alors, quand le plateau est servi, il va sans dire que le poisson est un peu… sec. Est-ce qu’il ne serait pas plus simple de ne servir que des plats froids? Que nenni. “Les galleys sont minuscules, il est impossible de sortir les plateaux 30 minutes à l’avance pour que les repas soient servis à température ambiante”, résume une hôtesse. Finalement, après avoir observé tous les efforts déployés au sol comme dans les airs, le plateau-repas apparaît presque comme un petit exploit quotidien…