En ce 8 août 1916, 736e jour de guerre, annoncent tous les journaux, les nouvelles du front sont assez bonnes. Les Italiens ont fait prisonniers 3.600 soldats autrichiens, dont une centaine d’officiers, dans la zone de Monfalcone ; trois avions allemands ont été abattus ainsi que des ballons captifs. Trois autres appareils ennemis, sérieusement touchés, ont été contraints à l’atterrissage forcé dans leurs lignes. Mais ce qui retient l’attention de la presse, c’est la visite du sous-secrétaire d’État au Ravitaillement, Joseph Thierry (1857-1918), aux jardins potagers du 1er régiment de zouaves, situé à Saint-Denis.
L’inauguration s’effectue en grandes pompes avec « un ministre, un général, des officiers, des photographes, trois opérateurs de ciné, des journalistes américains, brésiliens, argentins, suédois, norvégiens, des Anglais et des Espagnols, des Italiens et des Russes, des journalistes parisiens », rapporte Le Petit Parisien du 8 août.
Afin que chacun participe à l’effort de guerre, le ministre de l’Agriculture Jules Méline (1838-1925) et son homologue de la Guerre le général Pierre Auguste Roques (1856-1920) ont décidé la création de potagers militaires un peu partout en France. Celui qui est inauguré près de Saint-Denis fait une surface de 82.000 mètres carrés. « Là où jadis ne poussait qu’une herbe rare croissent maintenant toutes sortes de légumes. Choux, carottes, haricots, tomates, poireaux, salades couvrent toute l’étendue de ce terrain et lui donnent l’aspect d’une propriété particulière, riche, avenante, bien entretenue, sans l’aspect rébarbatif qu’aurait pu faire craindre la direction militaire de l’entreprise », précise Le Figaro du 8 août.
Plus concrètement, c’est un groupement fondé par l’abbé Jules-Auguste Lemire (1853-1928), par ailleurs député-maire d’Hazebrouck, qui sert d’intermédiaire entre l’agriculture et le militaire. Ce groupement, Le Coin de terre, procède « aux achats et à la distribution d’outils, de semences et de plants », indique Le Journal. Même la ville de Paris a prélevé dans ses champs d’Achères « vingt millions de plants de poireaux de choux, de navets, de salades, etc. Tout a été distribué aux casernes qui créent des potagers », souligne-t-il.
Une fois la récolte effectuée, pas question que les militaires épluchent les patates. Ce travail « est confié aux femmes, payées à raison de 3,50 francs par jour et cela permet de réaliser une économie de 22 % », confie le lieutenant Albert Grimat au journaliste du Petit Parisien. Il y a, au 1er zouaves, cent-dix femmes. « Elles ne sont pas toutes dans les légumes, quelques-unes sont dactylo, secrétaires, etc., mais toutes gagnent leur vie et leur concours nous est d’une grande utilité », poursuit l’officier.
Le commandant Sarlat qui commande le dépôt militaro-agricole s’enorgueillit, auprès du journaliste de La Croix (9 août), d’avoir réalisé 900 francs de bénéfice sur la vente des légumes. « Et je compte bien qu’à la fin de l’année, notre jardin nous aura assuré un produit de plus de 4.000 francs. »
Chacun apporte sa petite pierre à l’édifice. Ainsi, l’artillerie prête ses chevaux. « Les inaptes à la guerre cultivent le sol qu’ils ne peuvent pas défendre. Et le produit de tout cet effort […] constitue donc un bénéfice à peu près net, sans qu’un seul homme soit distrait de son service et sans qu’une journée de travail soit enlevée à la grande culture », conclut l’article du Petit Parisien.