« Obama est tellement nul qu’il faudra des générations avant d’avoir de nouveau un président noir. »

« Les dirigeants de ce pays sont stupides, les élus de ce pays sont stupides, les officiels du Mexique sont coupables : il ne devrait plus y avoir un seul immigrant illégal aux Etats-Unis – un point, c’est tout. » Donald Trump n’a pas attendu pour opérer une percée. Le franc-tireur et milliardaire new-yorkais a sorti sa grosse artillerie contre le plus grave problème du pays : son invasion par le tiers-monde, la dissolution programmée de la race blanche.

La chaîne Fox News avait réuni jeudi soir, sous les projecteurs d’une université de Cleveland, dans l’Ohio, dix des candidats républicains (sur 17 pour l’instant) à l’élection présidentielle de novembre 2016. Il y avait là trois gouverneurs (John Kasich, Chris Christie et Scott Walker), trois sénateurs (Ted Cruz, Marco Rubio et Rand Paul), deux anciens gouverneurs (Jeb Bush et Mike Huckabee) et deux étrangers au système (le chirurgien noir Ben Carson et Donald Trump). Celui-ci entra dans le jeu avec un double but : montrer qu’il pouvait être aussi décapant devant 15 millions de téléspectateurs que devant 300 sympathisants en rase campagne. Et obliger les neuf figurants qui l’entouraient à se situer, non pas par rapport aux différentes questions posées, mais par rapport à ses propres réponses. L’âme du débat changea de camp. Elle passa de l’establisment au franc-tireur. Elle passa du conformisme à la rébellion. Beaucoup de sujets furent abordés jeudi soir. Qu’importe ! Les solutions proposées étaient connues. Ce ne fut qu’une répétition. Du médiatique convenu, mais avec en plus un trublion. Et un trublion qui grimpe.

Pourquoi Trump est-il en tête de tous ses concurrents ? Pourquoi les sondages le créditent-ils de 26 % des intentions de vote alors que le deuxième de la liste, l’ex-gouverneur Jeb Bush (frère et fils d’ex-présidents), n’en a que 12 % et le troisième, le gouverneur Scott Walker, 11 % ? Une avance de 14 points, c’est énorme. Cette marge inhabituelle s’explique par trois éléments. D’abord, la désaffection de plus en plus affichée de la part de l’électorat blanc – le parti républicain est composé à 89 % de Blancs – pour un système politique qui n’est plus en mesure de répondre aux grands défis lancés aux Etats-Unis. Ensuite, des élus – presque tous les rivaux de Trump le sont ou l’ont été – dont la prudence proverbiale, la mollesse viscérale et la démagogie instinctive ont douché depuis longtemps les plus vifs enthousiasmes démocratiques. Enfin, après six ans et demi d’un régime immergé dans une nauséeuse grisaille et nimbé d’un angoissant gauchisme, l’immense majorité de l’Amérique blanche n’aspire qu’à une chose : sortir du tunnel. Pas avec de vieilles recettes discréditées ou des réponses obsolètes. Sortir en démasquant les imposteurs. Sortir avec du neuf, du jamais vu.

Or, le neuf, le jamais vu, c’est justement Trump. Soixante-neuf ans, trois fois marié, cinq enfants, sept petits-enfants, Trump vient de dépasser ses 10 milliards de dollars en cumulant immobilier, hôtellerie, équipes de football, terrains de golf, émissions de télévision, concours de beauté et, très récemment, vignobles de grands crus. « Le meilleur vin de la côte Est », dira-t-il le mois dernier lors d’une pendaison de crémaillère en Virginie. Le Trump intimiste. Mais il y a l’autre Trump, celui que ses ennemis – il en a beaucoup – soulignent et rappellent à chaque occasion : le Trump insolent, cynique, cassant. Le Trump boulimique qui écrase toute résistance sur son passage et impose ce qu’il veut à coups de millions de dollars. C’est le Trump qui fait les choux gras de la presse aux ordres. Et de l’establishment. Les deux en ont peur. Alors, pour se rassurer, ils forcent le trait, se complaisent dans la caricature : Trump, le capitaliste du béton, l’empereur du bluff. On se moque de ses outrances, de ses traits imparables, de ses injures fulgurantes. L’homme est d’un bloc. Il fonce sans doser les nuances.

Un spectacle. Une sorte de cirque où le chapiteau est remplacé par un plateau de télévision, où les bêtes sont muées en politiciens. Le dompteur, c’est Trump. Trump sort son fouet. Il bouscule alors son petit monde animalier en traitant Jindal « d’incapable », Perry de « mollasson », Bush « d’insignifiant ».

Alors, comme au cirque, la foule s’enflamme, ricane, plaisante. Ces coups de venin la vengent de décennies de frustrations, de tant de discours creux, de milliers de promesses trahies, d’une droite complice de tous les délitements. Frappe, Trump ! Cogne, Trump ! Et lui poursuit sa campagne d’iconoclaste avec les gestes d’un rebelle et les idées d’un populiste. Trump est un homme d’instinct. Il sent la foule et se lâche. C’est ce qu’elle aime : le parler vrai, des mots qui fusent, des images qui parlent. « Il faut, clame-t-il, construire un mur pour stopper l’immigration, taxer de 50 % les produits chinois et remettre l’Amérique sur les rails de la grandeur. » Il enfonce le clou : « Aucun politicien n’a encore défendu celui qui est devenu un étranger dans son propre pays, le travailleur américain blanc. » Et cette petite dernière pour la route… qui sera longue jusqu’en novembre 2016 : « Obama est tellement nul qu’il faudra des générations avant d’avoir de nouveau un président noir. »

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