Nous, les Poilus – Lettres des tranchées à Thérèse de Lisieux.

On a tout étudié dans la correspondance des soldats au front. Le moral des troupes, leur perception de la guerre, les sentiments qu’ils taisaient et ceux dont ils se faisaient une gloire. Et à qui le disaient-ils ? Une épouse courageuse, des parents esseulés, des enfants déjà à demi-orphelins, des marraines de circonstance…

Mais qui raconte encore que le carmel de Lisieux, tout au long de la Grande Guerre, a reçu des milliers de lettres, parfois une centaine par jour, accompagnées de balles, de casques, d’obus et de médailles transformés en ex-voto ? ! Plus forte que l’acier rend le juste et indispensable témoignage de ces Poilus qui, dans cet enfer sans nom, recoururent de toute leur foi et parfois même de celle qu’ils n’avaient pas, à cette petite sainte qui n’avait pourtant pas encore son auréole : elle ne sera canonisée qu’en mai 1925.

Soixante-quinze missives sont ici retranscrites, tirées des deux mille dossiers conservés au carmel. Les unes après les autres, comme les grains d’un chapelet, sous des titres ô combien évocateurs : « Je ne vous connais pas, mais… », « Je vis un nuage s’ouvrir ».

Unknown-1« Vive petite sœur Thérèse, ma Johannette »

Les reliques sont sur les corps. La confiance est au cœur. « Protégés par sœur Thérèse, nous n’avons rien à craindre et tout à espérer », clament ces soldats, du sergent au général. Et les miracles sont là. Des guérisons subites, des éclats d’obus qui ressortent, des gangrènes qui reculent, des balles qui ricochent sur la « puissante médaille » suspendue au cou… Et tout simplement, le courage qu’elle fit renaître chez ceux qui n’en pouvaient plus.

Cette vierge française qui a promis « de passer son Ciel à faire du bien sur la terre », certains l’appellent « la sainte du Poilu ». Un maître pointeur baptise sa batterie « sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus », repassant sans cesse le nom à la craie, en dépit de la pluie qui l’efface. Un autre appelle sa mitraillette « Petite Fleur ». Leur sort heureux n’est pas indifférent.

On y lit toute la gamme des obus, des 88, des 150, des 210, qui frôlent une jambe, esquivent une carotide, quand tant d’autres atteindront leur but. Il leur faut expliquer, à ces soldats-témoins, comment la balle est arrivée jusqu’à eux. Comment ils ont été épargnés, ou comment, une fois blessés, ils ont bénéficié d’une force surhumaine pour revenir vers les lignes amies, pourtant à bout de sang… Les récits sont précis, ancrés dans des mémoires qui ne peuvent les oublier.

« Ne hais les Boches, prie pour eux »

Et ces visions récurrentes de la sainte qui apparaît, pour l’un au-dessus du champ de bataille, pour l’autre dans son dugout (abri), vêtue de blanc, environnée d’une lumière qui n’est pas terrestre. Ce caporal, ce sergent, l’ont entendue. Ce brancardier, cet aviateur ont senti, un jour, cette odeur suave, indéfinissable, de fleurs, violette ou rose, alors que la pourriture et la vermine les entouraient.

Lubies, hallucinations ? Non pas. Pour tous, croyants et brebis égarées, il s’agit de « reconnaître la main de Dieu, prié par sa sainte servante ». Dans un élan d’abandon, une confiance « plus forte que l’acier », débarrassée de tout respect humain, avide de crier la vérité qu’elle entrevoit. « Je suis fier de publier la bonté de Dieu et de sœur Thérèse pour un pauvre pécheur. » Et le plus beau des miracles réside peut-être, comme ce jeune caporal le suggère, dans ces retrouvailles spirituelles, cette adhésion recouvrée au chemin du Christ sur la terre.

• Nous, Poilus – Lettres des tranchées à Thérèse de Lisieux. Editions du Cerf.

MARIE PILOQUET

Lu dans Présent

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