GPA / Quand une jeune femme démunie nous rappelle la morale naturelle et universelle de l’humanité…

Une jeune Thaïlandaise, Pattaramon Chanbua, qui vit au sud de Bangkok, a accepté pour la somme de 11 000 dollars de porter l’enfant d’un couple australien. Cette pratique n’étant pas autorisée en Australie, des centaines de couples chaque année font appel à des mères porteuses étrangères. Ce cas n’est donc pas exceptionnel. Ce qui l’est davantage, c’est l’irruption d’un événement dramatique dans cette transaction qui se veut anodine. Il s’est avéré que la jeune mère porteuse attendait des jumeaux, et que l’un d’entre eux était trisomique. À l’hôpital on lui a proposé un IVG pour ce dernier. Mais la jeune mère est bouddhiste, et récuse ce genre de pratique. Elle a donc donné naissance à une fille saine et à un garçon trisomique, affecté de surcroît d’un problème cardiaque important. Le couple australien est venu chercher la fille et a laissé le garçon, que la jeune mère porteuse a fêté comme un prince, assurant qu’elle aimait ce petit garçon malade qui est après tout le sien, et qu’elle ne l’abandonnerait jamais – elle a déjà deux enfants de 3 et 6 ans. Mais le plus étrange n’est pas là. Il faut des soins à ce bébé et des soins coûteux, que la jeune mère ne peut pas assumer. Dès que l’histoire de Gammy (c’est son nom) a été connue, la mobilisation pour la collecte de fonds a été importante. Des associations australiennes et autres se mobilisent pour aider la jeune mère. Les Australiens, à commencer par le ministre australien de l’Immigration, se disent bouleversés par cette histoire émouvante, et envoient des chèques et des témoignages de sympathie.

Il faut préciser que le couple australien en question était un couple infertile comme tant d’autres, des «parents d’intention» de bonne volonté, et aucunement un couple en mal d’exploit ni un couple dont la femme désirait éviter la grossesse par coquetterie… Il s’agit donc du cas à la fois simple et pathétique pour lequel la GPA est le plus souvent légitimée. Or même dans ce cas précis apparaissent, à la lumière de l’événement, les failles de cette pratique. Ce fait d’actualité révèle qu’une maternité n’est en aucun cas une histoire anodine, un geste technique qui se déroulerait en dehors de soi, comme celui qui consiste à fabriquer un objet ou à rédiger un dossier. Lors d’un débat précédent, Pierre Bergé avait affirmé, pour défendre la GPA, qu’il n’y avait pas de différence entre louer ses bras pour travailler à l’usine ou louer son ventre pour faire un enfant. Cette comparaison provocatrice relève à la fois d’une dramatisation du travail en usine (issue de la situation véritablement dramatique des usines au XIXe siècle) et d’une dévalorisation voulue de la maternité, considérée comme bourgeoise (par des gens qui ignorent tout à fait ce qu’est la maternité et la regardent de l’extérieur, sans aucune expérience ni directe ni indirecte). Mais surtout, elle relève d’une dérision voulue face à tout ce qui est symbolique, c’est-à-dire éloigné tant soit peu du matérialisme basique. La maternité ne se résume pas à la fabrication d’un bébé dans un utérus inséminé par du sperme. Car un enfant n’est pas un produit, n’est pas un artifice, n’est pas un objet – mais une personne. La personne ne se fabrique pas, elle se procrée – autrement dit, il y a un mot spécifique, pour distinguer ce processus de celui engagé par le souffleur de verre ou le manufacturier…

Au fond, que traduit cette histoire? La mère porteuse, une très jeune femme pourtant déjà dotée de deux enfants, matériellement très pauvre, annonce au monde entier que la maternité n’est pas une affaire de fabrication. Que ce sont deux choses bien différentes de fabriquer un boulon et de procréer un enfant. Et cette jeune femme s’avère beaucoup plus sincère, beaucoup plus convaincante que tous ceux qui nous servent de grands discours sur la GPA. Pourquoi? Parce qu’elle est la seule dans cette histoire à assumer jusqu’au bout l’importance de son acte. Puisqu’en accord avec sa religion elle ne s’autorise pas l’IVG, elle garde l’enfant qui n’est pourtant pas son propre projet et déclare qu’elle va l’élever en dépit de difficultés qu’on peut à peine imaginer… Faisant cela, elle affirme avec force, non par des déclarations ronflantes, mais par un acte à la fois terriblement banal et terriblement difficile, qu’on ne joue pas avec la maternité. Qu’il s’agit là d’un geste exigeant, parce qu’à l’origine il y a une personne libre (la mère) à laquelle on n’a pas le droit d’imposer par exemple l’IVG, parce qu’elle ne se réduit pas à… un ventre! et parce qu’au bout du compte il y a une personne humaine (l’enfant) qu’on n’a pas le droit de traiter comme un produit chimique.

Le plus intéressant, c’est que l’opinion publique mondiale, au lieu de traiter cette jeune femme de folle ou d’exaltée, vole à son secours, ce qui signifie: cette femme a raison de manifester par son acte qu’on ne joue pas avec la maternité.

Un événement dramatique est toujours révélateur de quelques vérités qu’on a voulu occulter. On voit bien à cette occasion à quel point un processus comme celui de la GPA traduit, même dans les meilleurs cas, des caprices autant que des désirs légitimes. Quand on décide de procréer un enfant, ce n’est pas sous condition qu’il soit beau et bien portant. Car il ne s’agit pas, précisément, d’un produit, mais d’une personne, et spécifiquement, d’un destin. Quand on décide de procréer un enfant, c’est une aventure qu’on commence avec ses risques et ses grandeurs. Nous sommes là aux antipodes de la consommation, du choix d’un produit sur Internet avec possibilité de changer d’avis en dernier recours (puisqu’on paye!).

Cette affaire met en jeu les contradictions qui déchirent les sociétés occidentales écartelées entre la loi post-moderne du désir individuel (j’ai droit à tout, donc j’ai droit aussi à un enfant) et la culture enracinée et profonde de la responsabilité personnelle. Il est émouvant de constater qu’ici la personne qui nous rappelle à nos responsabilités devant l’enfant et devant l’œuvre de la maternité, c’est une jeune femme du presque tiers-monde, sans voix et sans pouvoir, qui ne parle pas au nom de sa culture mais au nom de la morale naturelle et universelle de l’humanité.

Source

Related Articles