Bal(l)ades vénitiennes de François de Crécy

Les « tableautins » ou cartes postales constituent, malgré les apparences, un genre littéraire difficile, car il ne faut ni lasser le lecteur, ni lui donner une impression d’éparpillement. Chez François de Crécy, dont c’est le style favori, le pari est réussi : son dernier livre, Bal(l)ades vénitiennes, se savoure goulûment, si j’ose écrire. J’en recommande la lecture avec un verre de traminer aromatico, de thürgau du Trentino ou de sauvignon des Colli Orientali del Friuli à portée de main (ma science est toute neuve…).
Enfin, ce qui ne fait qu’ajouter au plaisir de la lecture, il s’agit d’un bel ouvrage, avec croquis en guise de culs-de-lampe et cahier photos, que l’on a plaisir à tenir en main.
— Venise en 2001, L’Agenda Venise en 2004, Venezianamente en 2005 et aujourd’hui Bal(l)ades vénitiennes. Venise constitue manifestement pour vous un sujet inépuisable et toujours renouvelé. D’où vous vient cette passion ?

— Ma passion pour Venise a été longtemps, trop longtemps, purement intellectuelle. C’est seulement en juin 1997 qu’au petit matin, j’ai descendu les marches de

la gare Santa-Lucia et découvert, ébloui, le Grand Canal. C’est Jean Raspail qui m’avait décidé à entreprendre ce voyage. Son Vive Venise montrait que, loin des foules du Rialto et des pigeons de la place Saint-Marc, existait une Venise secrète et envoûtante. Elle n’a cessé depuis de me faire battre le cœur et je m’applique l’expression de l’écrivain et poète Diego Valeri : « Venise, mon amour sous forme de ville ».

— Cette « découverte amoureuse » de Venise vous a-t-elle demandé de fréquents séjours ?

— Fin septembre, commencera mon 26e séjour à Venise. On me demande souvent ce que je peux encore découvrir là-bas. Je réponds que chaque séjour, sans exception, m’a réservé de belles surprises, dans des domaines bien différents : la sacristie de l’église des Ognissanti, la Fuite en Egypte de Titien restaurée, l’aménagement de l’île de la Certosa, la tonnelle de la cour du restaurant Corte Sconta…

J’ai rêvé de m’installer à Venise pour y finir mes jours. Mes attaches familiales en France m’en ont dissuadé. Mais, après chaque séjour je peux dire, comme Henry James : « Je quitte Venise, mais Venise ne me quitte pas. »

— Venise est préfacé par Michel Mohrt, Venezianamente reprend des illustrations de lui. Vous avez fait des voyages à Venise en sa compagnie. Pouvez-vous nous en parler ?

— J’ai une immense reconnaissance pour Michel Mohrt, qui fut un ami proche et fidèle. C’est lui (et aussi Benoît Mancheron, je ne l’oublie pas) qui m’a poussé à publier mon premier livre, Venise, dont il a écrit la préface.

Ma femme et moi l’avions emmené 15 jours à Venise pour qu’il puisse peindre tout à loisir, sans aucun souci matériel. La pluie diluvienne du premier jour laissa place à 14 jours ensoleillés et lumineux, comme l’automne vénitien sait vous en réserver. Il avait alors 87 ans, mais beaucoup de sexagénaires auraient pu envier son dynamisme. Tôt levé, tard couché, il peignait debout, en plein soleil, refusant pliant et chapeau. Il ignorait nos conseils de prudence avec un entêtement très morlaisien ! Ce séjour m’a laissé de merveilleux souvenirs et aussi de très belles aquarelles.

— Vous citez Michel Mohrt bien sûr, mais aussi Henri de Régnier et bien d’autres écrivains français fascinés par la Sérénissime. Quels sont les quelques ouvrages que vous recommandez en priorité aux lecteurs de Présent ?

— Si je devais citer un seul livre, ce serait L’Altana ou la vie vénitienne d’Henri de Régnier. Avec lui, on parcourt calli et campi, on entre dans une église pour voir un Tintoret, on admire un palais aux fenêtres géminées, on rend visite à un vieil antiquaire, on boit un punch au Florian… Son livre fourmille de détails qui enchantent les amoureux de Venise. Mais je relis toujours avec bonheur Morand, Mohrt, Raspail, Vitoux ou Paolo Barbaro.

— Est-il nécessaire de parler italien ou, mieux encore, le dialecte vénitien pour faire d’heureux séjours à Venise ?

— Non, bien sûr. Lors de mon premier séjour, je ne parlais pas un mot d’italien. Aujourd’hui, je me débrouille pour tous les actes de la vie courante et, même si j’ai des difficultés avec l’accent tonique, les Vénitiens apprécient mes efforts. Je connais une centaine de mots du dialecte. Quand je me hasarde à les employer, je rencontre l’incompréhension, la plupart du temps. Mais il y a des exceptions. Je désignais un jour la Giudecca sous le terme de « Zuecca » (comme dans le poème de Musset A Saint-Blaise) et mon interlocuteur, qui y était né, me recommanda d’employer plutôt « Gnieca ».

— Quelles sont pour vous les qualités qui font de Venise un lieu enchanteur ? Vous parlez de silence, de lenteur, de beauté bien sûr…

— Répondre à cette question demanderait une page entière ! Sur la beauté, je n’insisterai pas, ni sur la singularité d’une ville entourée et pénétrée par la mer Adriatique. A Venise, toute action, tout déplacement demande du temps, beaucoup plus qu’ailleurs. Cette incommodité participe au charme de la Sérénissime. Le silence continue à m’étonner lors de chaque séjour. J’ai beaucoup écrit sur ce sujet dans mes différents livres. J’ajouterai à votre énumération les couleurs, les parfums et la cuisine vénitienne !

François de Crécy, Bal(l)ades vénitiennes, Atelier Fol’fer, 20,50 euros.

Lu dans Présent

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