La guerre civile russe

« La Russie se couvrira de brouillard… La mer se démontera, et le théâtre s’effondrera. » Ainsi parlait le grand Dostoïevski, dans Les Démons. La sentence a beau se trouver dans un ouvrage publié en 1871-1872, elle fait furieusement penser à la révolution de 1917.

Nombre d’ouvrages consacrés à la révolution russe, qu’ils magnifient Octobre ou égratignent les Rouges, ont fait l’impasse sur les années de feu ayant suivi la prise de pouvoir des Bolchéviques à Petrograd – ainsi se nommait alors Saint-Petersbourg, au crépuscule de l’Empire russe. Il y avait bien Les Blancs et les Rouges, de Dominique Venner (éditions du Rocher, 1997), mais pas grand-chose depuis. Le centenaire de 1917 a heureusement suscité une publication d’envergure aux éditions Perrin : La Guerre civile russe, d’Alexandre Jevakhoff. L’auteur a beau être inspecteur général des Finances, il a publié plusieurs ouvrages sérieux consacrés au premier quart du XXe siècle (Kemal Atatürk, Les Russes blancs, Les Traités de paix 1919-1920, etc.). Ici, Jevakhoff explore une période troublée et violente d’un pays qui fut aussi celui de ses ancêtres : l’auteur préside le Cercle de la Marine impériale russe et l’ouvrage est dédié à son grand-oncle, tué par les Rouges en 1919.

Sous sa plume, on plonge au plus profond d’un Empire en crise, exsangue, englué dans la guerre mondiale. L’histoire de la guerre civile russe est d’abord celle des Révolutions, qui feront basculer le pays dans la guerre civile lorsque les Bolcheviques se hisseront au sommet du pouvoir.

La guerre civile, à partir de l’automne 1917, verra s’affronter Armée rouge, « Blancs » aux opinions politiques variées, Mongols du baron Ungern-Sternberg, volontaires lettons communistes, soldats tchèques devenus maîtres du Transsibérien, paysans de « l’Armée verte », troupes du Kaiser en Ukraine (jusqu’à l’armistice de Brest-Litovsk), corps expéditionnaires occidentaux (de 1918 à 1922), sans compter les multiples forces militaires ayant éclos à l’occasion des indépendances nationales obtenues en Pologne, en Finlande, dans les pays baltes ou dans le Caucase… On se perdrait aisément dans ce conflit aux ramifications multiples et aux théâtres d’opérations titanesques, mais la prouesse de Jevakhoff est de garder l’équilibre entre le détail, l’anecdote et l’approche chronologique d’un conflit, qui se soldera définitivement, en 1923, par la victoire complète des Rouges. Ce conflit aura vu périr les Romanov mais aussi plusieurs dizaines de millions de Russes.

Rupture douloureuse et fondatrice pour le soviétisme, la guerre civile est aujourd’hui, dans la Russie de Poutine, une page assumée de l’histoire nationale, au point que les responsables poutiniens ont tenté de voir en Lénine et en Trotski des patriotes russes comme Dénikine, Kotltchak et même Kerenski. Une démarche d’unité nationale que Jevakhoff juge « compréhensible, encore qu’audacieuse » et n’exonérant en rien les historiens de leur mission : la recherche de la vérité.

  • Alexandre Jevakhoff, La Guerre civile russe, Perrin, 688 pages.

Tugdual Fréhel – Présent

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