Rien ne destinait (1754-1840) à devenir un polémiste de premier ordre. Né à Millau, il est militaire puis rentier. En 1789, il accueille favorablement les idées nouvelles. Mais, deux ans plus tard, il s’indigne de la constitution civile du clergé et de la vente des biens ecclésiastiques. Point de non-retour : il se fait contre-révolutionnaire. Et pas des moindres ! Auteur, notamment, d’une Théorie du pouvoir politique et religieux (1796) et d’une Législation primitive (1802), sa clarté fait de lui un monument de la contre-révolution, aux côtés de Maistre et Burke. Dans un nouvel ouvrage, Giorgio Barberis, universitaire italien, explore l’amplitude de sa pensée.
Emigré à Coblence, Bonald défend, par la plume, l’idée d’une constitution naturelle et d’un ordre nécessaire de la société humaine. Ainsi, à l’instar de Burke pour qui la politique est une « science pratique expérimentale », le Rouergat estime que le bon homme d’Etat est celui qui conserve et perfectionne l’ordre naturel des choses. Sans surprise, il se fait l’avocat du rôle social de la religion chrétienne ; non pas qu’il la réduise à cette dimension, mais il y voit un ciment nécessaire à la cité. Or, cette civilisation est durement attaquée et, chez Bonald, l’élément conflictuel est décisif. Il ajuste sa cible et ne la lâche pas, accablant ce « gouvernement de démons ».
Loin de céder au fatalisme, Bonald a confiance dans l’âme française. Ainsi, « les lois nouvelles ne peuvent s’affermir, ni les anciennes habitudes se détruire ; le feu sacré brûle encore dans la Vendée comme dans un sanctuaire ; là, des Français, sans autre motif que l’attachement culte de leurs pères et à l’héritier de leurs rois, luttent, avec la seule force du caractère national, contre toutes les passions des hommes et toute la rage de l’enfer ».
Bonald, l’homme de l’ordre, combat la subversion qui s’abat partout, et d’abord la famille. Il s’oppose vigoureusement au divorce, établissant un parallèle saisissant entre le monothéisme en religion, la monogamie dans la famille et la monarchie dans l’Etat. C’est, selon Barberis, la « sanctification bonaldienne de l’Un ». Mais ne nous y trompons pas : son amour de l’unicité n’en fait pas un ennemi des libertés. Critique acerbe du jacobinisme, Bonald voit dans la décentralisation administrative la meilleure garantie d’ordre social, « où chaque province est un royaume, chaque chef-lieu une capitale, où le Roi est partout, comme Dieu sur nos autels, en présence réelle ».
Bonald demeure, en définitive, le pourfendeur de la philosophie moderne et matérialiste qui gangrène encore l’Occident. La solution bonaldienne ? Face à la « philosophie du moi », promouvoir celle « du nous ». Les utopistes ont cru que l’homme devait bâtir la société par un contrat ? « Je crois que c’est à la société à faire l’homme », répond Bonald. Toute l’anti-modernité est là.
Tugdual Fréhel – Présent
Giorgio Barberis, Louis de Bonald, DDB, 2016, 372 p.