Leucophobie?

 

Ce néologisme signifie : la peur, et par extension la haine, du blanc. Au début des années 2000, les belles âmes, jamais en reste quand il s’agit de s’adonner à la cécité volontaire, s’indignaient quand les esprits lucides évoquaient le développement d’un antisémitisme des banlieues. Cette forme de racisme, supposaient-ils, n’est l’apanage que des Européens blancs. Impossible que des gens d’origine maghrébine ou africaine soient antisémites ou racistes, puisque ce sont des dominés, des exploités, des laissés-pour-compte. En dépit de la multiplicité des témoignages, les mêmes qui, hier, niaient cet antisémitisme des banlieues nient aujourd’hui la montée au sein de ces populations d’une forme nouvelle de racisme : la leucophobie.

Chacun le sait : il existe un racisme de domination. C’est celui des vainqueurs, des conquérants, des exploiteurs et des exterminateurs. Il sert de caution idéologique et affective pour leurs forfaits. Il consiste en un discours venant se surajouter à la conquête ou l’exploitation pour les verrouiller. Les lois espagnoles sur la « limpieza de sangre » en sont le premier exemple européen. Les deux traites des Noirs – la musulmane et l’européenne – usèrent aussi de la phraséologie raciste pour pouvoir commettre ses crimes à l’abri de la bonne conscience. Le nazisme et l’apartheid sud-africain sont d’autres exemples de ce racisme de domination, généralement plus ou moins un racisme d’État.

Mais il existe aussi un racisme de ressentiment. Le ressentiment est la haine malsaine que le faible conçoit contre le fort, ou celui qu’il imagine tel. Il est la révolte affective et psychologique des esclaves, au sens très large, nietzschéen, de ce mot, et du lumpenprolétariat, produit de la décomposition du prolétariat que Marx tient pour la lie de la société. C’est le racisme des dominés, et non plus celui des dominants. Plus : c’est celui des communautés dominées envers les communautés qu’elles imaginent dominantes. Il s’agit d’une haine systématique et, à l’occasion, violente. La haine des « faces de craie » ! L’antisémitisme populaire — y compris celui de Céline —, à différencier de l’antisémitisme théorique, s’inscrit dans la catégorie « racisme de ressentiment ». La leucophobie banlieusarde est, d’un point de vue de psychologie sociale, tout à fait comparable à l’antisémitisme populaire. D’ailleurs il ne manque pas de jeunes de banlieue s’avérant à la fois antisémites et leucophobes.

Outre qu’elle s’explique par une sacralisation superstitieuse de l’étranger, du non-autochtone, l’aveuglement devant la réalité de la leucophobie s’explique aussi par l’incapacité à percevoir la division du racisme entre racisme de domination et racisme de ressentiment.

Robert Redeker – Boulevard Voltaire

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