Démolir Polytechnique!

Samedi 6 juin, c’était jour de fête à l’École polytechnique. En présence des familles, la promotion qui va sortir remet le drapeau français à la suivante en présence du ministre de la Défense. Mais cette année, l’ambiance était un peu gâchée pour le millier d’élèves qui participaient à la cérémonie. Personne, bien entendu, n’en a rien laissé percevoir, mais les conclusions d’un rapport sur l’avenir de l’école rendu à Jean-Yves Le Drian par Bernard Attali, un énarque reconverti dans la finance, jettent un sérieux désarroi dans les rangs.

Certes, l’X s’est fait remarquer, il y a quelque temps, pour sa gestion folklorique de la « pantoufle », cette somme de 40 000 euros environ que reçoit chaque élève au cours de sa scolarité et qu’il doit rembourser s’il quitte le service de l’État avant dix ans de carrière. Alors que les jeunes polytechniciens partaient, toujours plus nombreux, pour le privé, leur école ne leur réclamait pas un euro. Mais la faute en revenait avant tout au ministère de tutelle, celui de la Défense, qui n’a pendant longtemps rien fait pour corriger cette choquante anomalie. C’est désormais fini.

Banaliser l’X

Pourquoi, dès lors, vouloir en faire trop ? Il est question, dans le rapport Attali, de démocratiser le recrutement, au point de le faire intervenir tout de suite après le bac. C’est ignorer que les deux années de classes préparatoires nécessaires pour passer le concours sont des années de formation très importantes, au cours desquelles les élèves apprennent méthodes et capacités de travail. Autre idée de génie : diluer l’X dans un vaste ensemble de grandes écoles moins grandes qu’elle. Pour mieux la normaliser ?

Il est vrai qu’un ancien ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, défend depuis longtemps qu’il faut supprimer les grandes écoles, parce qu’elles favorisent la reproduction sociale et qu’elles font de l’ombre à l’université. Après la suppression des options latin et grec au collège, remplacées par des enseignements de saupoudrage, voici que surgit l’idée selon laquelle Polytechnique devrait se mettre à la portée de chacun. Étrange stratégie qui consiste à casser ce qui fonctionne !

La nomenklatura fait de la résistance

Et puis, le choix de Bernard Attali pour mener cette réflexion et rédiger un rapport décisif laisse perplexe. Si son célèbre frère jumeau est à la fois ancien élève de l’X et de l’Ena, lui n’a fréquenté « que » l’Ena, dont il est d’ailleurs sorti dans la botte, à la Cour des comptes. Il n’a donc de l’École polytechnique qu’une connaissance, disons, familiale. Qu’est-ce qui le qualifie donc pour cette mission ? Certainement pas la sempiternelle rivalité entre ces deux couvoirs de l’élite que sont l’X et l’Ena. Pas plus que sa trajectoire de grand commis de l’État. Le poste le plus prestigieux qu’il a occupé est celui de PDG d’Air France, de 1988 à 1993. Il en est parti contraint et forcé alors que la compagnie enregistrait des pertes abyssales faute d’une gestion serrée.

Pourquoi, au vu de ces faits d’armes, s’être tourné vers Bernard Attali ? Mystère, si ce n’est qu’on ne trouve pas facilement un grand commis de l’État qui accepte, sans que sa main tremble, de préconiser la dilution pure et simple de la plus prestigieuse et la plus ancienne grande école française.

Il convient, toutefois, de rester calme. La nomenklatura française dispose d’armes considérables pour défendre ses intérêts. Ainsi, la suppression du classement de sortie à l’Ena mobilise depuis des années, à intervalles réguliers, les cerveaux les plus affûtés de la République. En vain jusqu’à présent. « Polytechnique pour tous », donc, n’est pas encore pour demain.

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