Enfilades de François Marchand

En voilà un titre bien ésotérique ! On répète trop souvent que la nouvelle est un genre anglo-saxon, une espèce qui s’adapte mal à nos climats. Il faut bien reconnaître qu’en dehors de quelques cénacles de fins lettrés, bien rares sont ceux qui peuvent se vanter d’acheter régulièrement des recueils de nouvelles. Mais ce dédain, ces mauvaises habitudes qui semblent bien héréditaires, ne sont pas sans remède. Ainsi le grand Sylvain Tesson n’avait pas hésité à parcourir avec témérité ce terrain miné en publiant six recueils depuis 2002, dont les très beaux Vérification de la porte opposée et S’abandonner à vivre. Tesson ayant un public de lecteurs fanatiques, ces recueils furent de vrais succès de librairie, heureuses exceptions.

Et voilà qu’un auteur de nous inconnu, François Marchand, se jette dans le précipice avec pour handicap supplémentaire une méconnaissance totale des principes élémentaires de l’autocensure. Au littérateur qui veut survivre, cette dernière s’impose pourtant comme une évidence. Richard Millet ou Renaud Camus pourraient en témoigner. Eh bien non ! Notre nouvelliste héroïque piétine toutes les valeurs prétendument républicaines, l’esprit Charlie, la pensée slogan et l’aveuglement généralisé. Mais la charge serait par trop commune – les rangs dissidents s’épaississant d’année en année – si elle n’était menée dans une langue charnue, vivante et si profondément… française. Mention spéciale et félicitations du jury pour la prime nouvelle Tourisme équitable qui assassine le bobo voyageur, et pour l’extraordinaire fable des abeilles par laquelle Marchand dit tout de la submersion migratoire. Un cadeau à s’offrir entre amis, comme un aloxe-corton ou un vieux cubain. Inévitable !

Enfilades par François Marchand, éditions du Rocher.

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