Charles Maurras ou l’effacé de l’Histoire

Né dans les terres de Provence, à Martigues. Maurras restera imprégné toute sa vie d’un caractère méridional, grec, qui le rapprochera inlassablement de la culture classique qu’il érigea comme un rempart de la civilisation envers un monde futur ne l’enchantant guère. D’une intelligence particulière et profondément littéraire, Charles sera pourtant, à 14 ans, frappé d’un mal inattendu : la surdité, sûrement le prodrome de ce qu’il adviendrait plus tard, son incapacité à entendre le futur.

Charles, le sourd du siècle

Si la surdité est déjà un handicap, elle ne se résume pas à la mauvaise perception des sons, elle entraîne aussi une dégradation des capacités vocales. Ainsi Charles se retrouva-t-il avec une voix qui semblait sortie du plus profond des abîmes, stridente, peu agréable, et peu propre à la carrière d’orateur qu’il se promettait. Oui, Maurras, louangeur de la polémique, élève de Boileau, voyait son ironie altérée par des paroles articulées comme les prophéties d’un vieillard druidique, où se mêlent foudre et cris irritants sortis d’outre-tombe.

Goûteur des mouvements de son époque, il devint félibréen et boulangiste. La Provence et la Nation tout entière : paradoxe maurrassien de régionalisme traditionnel et de nationalisme révolutionnaire. Se plaçant sous l’égide de Barrès, il eut une véritable dimension dans l’Affaire Dreyfus, crachant un bon nombre d’articles contre le capitaine dans La Cocarde, il influença la bipolarisation du débat sur la culpabilité de Dreyfus, se rangeant dans le camp “anti-dreyfusard” face aux “dreyfusards” tels Zola, Péguy, et Clémenceau.

Cette affaire le propulsa au centre de la vie publique, intégrant l’Action Française de Maurice Pujo et d’Henri Vaugeois, revue, fondée en 1899, de tendance républicaine, Maurras n’arrêtait plus son ascension. Après avoir converti les fondateurs de la revue aux idées royalistes, il s’empare de la direction du journal et s’impose comme le maître intellectuel de toute une France conservatrice et nationale.

Maurras, l’intellectuel qui récite des poèmes de son invention en sortant du journal, est aussi un homme d’action. Et pas seulement d’action intellectuelle, il désire une action populaire, une action de chaire et de sang. Il fonde alors la Ligue d’Action Française, composée de militants nommés Camelots du Roi, qui se rendent dans la rue pour manifester contre le régime parlementaire et la “Gueuse” en général. Mais, outre l’adorateur de politique, il y a le littéraire, ardent défenseur d’un modèle classique en perdition, gardien d’un temple disparu, spectre d’un temps révolu. Le XXe siècle est là, il attend Maurras au tournant pour le déchiqueter et le gommer des siècles futurs.

Maurras, ou une conception française du nationalisme pensé

Pour nos contemporains gauchistes Maurras est devenu l’épouvantail d’un champ idéologique qu’on ne devrait pas approcher. “Corbeaux républicains ! Abstenez-vous !” pourrait clamer la bien-pensance actuelle. Car, s’intéresser à la doctrine maurrassienne, c’est d’abord se pencher sur la Terre, une conception très proche de celle développée par Barrès et honnie par nos élites actuelles.

Le “nationalisme intégral”, théorisé par Maurras, est un vieux tableau où l’on voit lavandes et paysans au travail. Si l’on utilise les thèses de René Rémond, on pourrait dire que la pensée de Maurras se rapproche d’une très vieille pensée de droite : celle des ultracistes (ultra-royalistes) prônant un régime décentralisé, qui respecte l’autonomie des régions tout en affirmant leur coordination sous l’autorité d’un roi. Néanmoins, le vocabulaire employé, le verbe, la manière d’agir sur le terrain s’inspirent d’un certain bonapartisme rouge, national et populaire.

Voilà pourquoi cette pensée a pu séduire des milieux radicalement différents, du paysan à l’ouvrier, de l’aristocratie à une certaine bourgeoisie patriote. Il faut également ajouter que ce nationalisme ne repose pas sur la notion de “races” mais sur celle d’une “culture gréco-latine” appuyée par la religion catholique. Maurras se fait ainsi laudateur d’un modèle assimilationniste romain, annihilant les différences pour mieux introduire l’individu étranger dans la société française.

Maurras ne peut que s’opposer au nationalisme germanique, racial plus que culturel, révolutionnaire plus que réactionnaire. On peut, en effet, trouver un article à ce sujet sur Internet dans les “Textes de Maurras”, où l’intellectuel nationaliste dresse un portrait virulent de ceux qui se font apologistes, en France, du nationalisme racial.

L’Antisémitisme maurrassien : Détestation d’une race ou refus de l’imperium in imperio ?

Bien que partiellement faux, je me permets d’utiliser le terme “antisémitisme”, puisqu’il fut revendiqué par Maurras lui-même, et que le penseur monarchiste se référa souvent à Drumont, célèbre écrivain et penseur de l’antisémitisme. Il faut pourtant examiner avec attention l’antisémitisme de Maurras. Car, comme je l’ai souligné, Maurras ne s’appuie pas sur la race, mais sur la culture. Défendant un antisémitisme d’Etat, il pense néanmoins que les juifs, dans le cadre de la monarchie, se fondraient dans le moule français par la seule autorité du roi.

En réalité, Maurras associe la République, “régime de l’étranger”, avec le “juif d’affirmation”, qui pense et réagit en fonction de sa judaïté. La monarchie selon Maurras permettrait donc d’éviter la domination d’une culture juive coopérant avec un régime qu’il estime vendu au cosmopolitisme. « L’antisémitisme est un mal si l’on entend par là cet antisémitisme de “peau” qui aboutit au pogrom et qui refuse de considérer dans le Juif une créature humaine pétrie de bien et de mal, dans laquelle le bien peut dominer. On ne me fera pas démordre d’une amitié naturelle pour les Juifs bien nés.» On comprend mieux, à travers cette phrase, l’idéologie maurrassienne. Maurras rejette une religion, et non des individus qui constitueraient une race.
Son amitié avec Marcel Proust (de confession juive), génie de la littérature, et son admiration pour le romancier attestent tout à fait de son refus de tomber dans le racialisme. Il sait reconnaître l’homme qui “sera un témoin nouveau de la vérité retrouvée”. Cette vision l’amène forcément à la condamnation du nazisme dont « l’entreprise raciste est certainement une folie pure et sans issue ».

L’Erreur du choix Pétain, ou comment Maurras a choisi le mauvais rôle de l’Histoire

Maurras aurait pu se vêtir des glorieux habits d’un chantre de la Résistance, et monter sur l’Olympe de la postérité. Malheureusement, Maurras a vu, dans le régime de Vichy, «une divine surprise». Qu’il fut naïf le Maurras ! Il ne soupçonnait point que moins d’un siècle plus tard, on vouerait “l’Etat français” aux gémonies. Mais Maurras était déjà fou, «fou à force d’avoir raison», selon le Général de Gaulle. Il se jeta dans le précipice infernal pour échapper aux ombres “judéo-maçonniques et aux démocrates”, qu’il croyait sous Vichy, totalement éliminés.

Il aurait dû se méfier, Vichy fut le fourrier de tous les gaucho-pacifistes, prônant l’armistice, avant même d’avoir combattu. Lui, l’anti-germaniste affirmé, pourquoi s’est-il reconnu dans un régime né de la défaite de la France ? Certainement parce que Maurras n’a pas cru à l’influence si grande que pouvait avoir l’Allemagne sur la politique de Pétain, alors que la France devenait la marionnette d’un régime effroyable. Maurras est resté fixé sur la France, seulement la France et ses conflits politiques internes. Voilà l’erreur de Maurras : de n’avoir perçu que la parure de Vichy, “Travail, Famille, Patrie”, une doctrine nationale dissimulant le joug de l’étranger.

Charles Maurras n’appartient pas, en effet, aux deux catégories de collaborateurs : pacifistes et adeptes de l’idéologie nazie. Non, l’écrivain provençal s’est trompé de camp, le vrai monarchiste n’était pas à Vichy, il était à Londres, il s’appelait, lui aussi, Charles. Le vieux Maurras ne fut pas prophète, à partir du moment où il affirmait son soutien au régime du Maréchal, il était vaincu de l’Histoire à jamais. A moins que…

Comment défendre une idée maurrassienne aujourd’hui ?

Comme le régime de Vichy ne collabora pas par idéologie mais par soumission, il faut bien distinguer, chez Maurras, l’idéologie et le soutien au régime pétainiste. La théorie est en elle-même tout à fait recevable, et si nous la séparons de l’homme qui l’a produite, elle constitue l’une des influences du gaullisme de 1958. Nous ne pouvons point calquer une erreur sur une idéologie qui n’a rien de “nazie” et de “racialiste”, nous l’avons démontré précédemment. Attribuer un ralliement de l’homme, qui accoucha du “nationalisme intégral”, à des principes soi-disant intrinsèques à cette idéologie, serait une grossière méprise.

La doctrine maurrassienne ne doit pas être considérée comme responsable d’un accident de l’homme qui l’enfanta. Et l’homme en lui-même, par cette idéologie, est totalement éloigné du nazisme. Mais j’avoue qu’il est difficile de faire comprendre aujourd’hui que l’adhésion au pétainisme en tant que principe politique n’est pas l’adhésion au nazisme. Ce régime aurait très bien pu être “de gauche humaniste” -puisque c’est à la mode-, cela n’aurait rien changé, la collaboration eût été la même. Arrêtons, donc, de condamner les idées maurrassiennes pour ce qu’elles ne sont pas ! Même si je sais qu’on est plus enclin à abhorrer les idées réactionnaires que révolutionnaires… L’Avenir de l’Intelligence (*) nous enseigne, pourtant, que ces dernières sont souvent les instruments d’un système cherchant à faire croire qu’il existe un semblant d’opposition.

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