Amour et amitié, un petit chef-d’œuvre méconnu de Jane Austen !

Par Robert Le Blanc

Avant tout, il faut féliciter Laurent Folliot, un agrégé d’anglais qui enseigne à Paris IV, pour cette remarquable traduction. Il a choisi de faire connaître un texte de jeunesse de Jane Austen, Amour et amitié, resté inédit jusqu’en 1922, en joignant la préface que lui donna Chesterton (Rivages-poche, 98 p., 5 euros). Il n’était pas facile de rendre avec cette précision le style très XVIIIe (entre Manon Lescaut et Candide) de ce très court roman par lettres. Il manque seulement les illustrations dont la sœur aînée, Cassandra (!), ornait généralement les manuscrits de Jane (elles avaient six frères : deux finirent amiraux, mais un autre banquier en faillite).

En ce temps-là, l’orthographe n’était pas encore tout à fait fixée, et la jeune Jane a titré Love and Freindship (titre que les Anglais respectent pieusement). Toutefois le français Dieu n’aurait pas dû poser de problème, et Laurent Folliot se demande si ce n’est pas volontairement que Jane Austen clôt les lettres de Laura, la ravissante idiote, par un très snob et très incorrect Adeiu !

Jane avait quatorze ans en 1790, quand elle écrivit cette pochade pour l’amusement des siens. C’est une très fine parodie des procédés littéraires et des préjugés moraux de la période pré-romantique (il est bon à l’époque d’« être en révolte » contre le père). Avec des conclusions très « humour anglais », comme ce conseil : « Ma chère Marianne, évite les pâmoisons : on risque toujours de prendre froid. Préfère l’attitude frénétique : ça tient chaud. » Ou comme ce destin, somme toute acceptable, pour un des héros : « Après avoir mangé toute la fortune de sa femme, il subsista grâce à son talent de cocher, le seul qu’il eût vraiment : il garda seulement le carrosse de la belle-famille, le convertit en diligence et, pour se soustraire à ses vieilles connaissances, poussa jusqu’à Edimbourg, d’où il assure désormais la liaison avec Stirling un jour sur deux. »

J’ai toujours pensé que ce qui survivrait en Chesterton, comme en Veuillot, ces deux grands journalistes, ce serait le critique littéraire, par-delà des tonnes de romans et de poèmes, d’écrits apologétiques et politiques. On peut le vérifier ces jours-ci. Pour Veuillot, lisez ses pages sur Saint-Simon et Mme de Sévigné, Racine et Corneille, Gil Blaset les Mémoires d’outre-tombe, Hugo et Shakespeare, dans ses Voyages et lectures (éd. Via Romana). Et pour Chesterton son Dickens, ou cette préface à Amour et Amitié : « Ainsi la passion originelle de Jane Austen était une sorte de mépris joyeux, d’ardeur à lutter contre tout ce qu’elle jugeait morbide, approximatif ou dangereusement idiot. »

Lu dans Présent

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