Si pour l’heure il n’y a qu’en France que l’on laisse assassiner cinq dessinateurs d’un coup… des oligarques s’en prenant avec virulence, telles Christiane Taubira ou Anne Hidalgo avec David Miège et Ri7, cela existe dans un autre état totalitaire qui n’apprécie pas davantage la liberté d’expression: la Turquie… (NDLR) En Turquie, la justice se montre de plus en plus sévère avec ceux qui se permettent de plaisanter ou de critiquer le président de la République, Recep Tayyip Erdogan, déjà accusé de dérive autoritaire dans l’exercice de son pouvoir depuis quelque temps. Deux caricaturistes en ont fait les frais la semaine dernière. Ils ont été condamnés à de la prison ferme, ce qui a déclenché une avalanche de réactions et de condamnations.
Les deux dessinateurs qui avaient signé la une de l’hebdomadaire satirique Penguen représentant le président devant son palais dans une attitude jugée dégradante, Bahadir Baruter et Özer Aydogan, ont été condamnés vendredi à onze mois de prison ferme. Ils ont fait appel de la sentence qui n’a pour l’instant pas été appliquée, mais cette décision a suscité la colère des organisations professionnelles locales et des associations internationales de défense des journalistes qui dénoncent une volonté de museler la critique et une atteinte à la liberté d’expression. Penguen, avec son alter-ego Leman, c’est un peu, toutes proportions gardées, l’équivalent turc de Charlie Hebdo. Et son esprit poil à gratter ne fait guère plaisir à Recep Tayyip Erdogan qui est souvent égratigné par leurs coups de crayon. Mais la lourdeur de la sentence a choqué, et si les deux dessinateurs devaient aller en prison, ce serait du jamais vu.
Des procès pour insultes qui se succèdent
Et ce n’est pas la seule affaire du genre. A l’automne 2014, un mineur avait été arrêté dans son lycée pour le même motif. Une première audience s’était ouverte début mars, et le procès a été renvoyé à ce 3 avril, c’est-à-dire ce vendredi ; le lycéen âgé de 16 ans risque lui 4 ans de prison pour insulte au président qu’il avait qualifié de « voleur » lors d’une manifestation publique en décembre dernier. Là aussi, le côté expéditif de la procédure avait choqué, puisque l’adolescent était resté en garde à vue durant 48 h, avant de se voir signifier qu’il était poursuivi pour insulte au chef de l’Etat, alors que pour les mêmes raisons des adolescents avaient eux aussi été détenus lors d’une manifestation. Ce chef d’accusation est de plus en plus souvent utilisé non seulement contre des journalistes le plus souvent, et ils sont nombreux, mais aussi contre de simples citoyens, comme cette ancienne miss Turquie, Merve Büyüksaraç, qui risque plus de 4 ans de prison pour une photo postée sur Instagram. Ce week-end encore la jeune actrice Nazli Gonca Vuslateri a été poursuivie au même motif pour un simple tweet dont elle n’était pas l’auteur, qu’elle avait juste renvoyé, et elle risque elle deux ans de prison. Depuis qu’il a été élu président, Erdogan a ainsi ouvert quelque 90 plaintes pour insulte, ce qui fait une moyenne d’une tous les deux jours.
Le style Erdogan bat de l’aile
Le président Erdogan a été élu l’été dernier, il n’a donc pas à craindre de sanction électorale à court terme. En fait, Erdogan n’a jamais aimé la critique et la satire, et ses procès contre les journalistes ou les caricaturistes sont nombreux et anciens ; il est même champion des procès en « diffamation », « atteinte à la vie privée » et maintenant donc « insulte » ; car l’article 299 du code pénal turc est une nouvelle arme légale qu’il a à sa disposition depuis qu’il est président du pays. Mais c’est une dérive qui s’est renforcée depuis les grandes manifestations de Gezi, et qui traduit une maîtrise amoindrie d’Erdogan sur le pouvoir, sur les affaires du pays, sur l’opinion publique. Aujourd’hui, il est confortablement installé dans son fauteuil, et pour plus de 4 ans encore, mais son projet d’instaurer un régime présidentiel fort, qui lui donnerait encore plus de pouvoirs, bat de l’aile car les élections législatives de juin s’annoncent catastrophiques pour son ancien parti, l’AKP au pouvoir, et son style autoritaire est de plus en plus contesté. En réponse il frappe de plus en plus fort contre ses détracteurs en utilisant au maximum ce délit d’atteinte à l’image du président, qui n’avait jusque là quasiment jamais été utilisé, et en tous cas pas puni d’une peine de prison.