Le Qatar met un coup d’accélérateur à ses investissements en Europe ces derniers mois, avec une forte prédilection pour Londres, Milan et Paris. Jusqu’où ira l’Emirat sur le Vieux continent? En pleine préparation du Mondial de foot 2022, le Qatar est montré du doigt pour les conditions de travail déplorables des ouvriers de ses chantiers. Une mauvaise publicité qui va totalement à l’encontre de la stratégie de l’émirat. Pour compter parmi les grands de ce monde, le roi du gaz naturel liquéfié mise justement sur son image. Notamment à travers les investissements immobiliers de son fonds souverain en Europe. Des placements dont la vocation première est certes la rentabilité, mais qui visent aussi à lui apporter notoriété et prestige.
Sur le vieux continent, le Qatar est devenu depuis 2012, à travers son bras financier, la Qatar Investment Authority (QIA), le premier investisseur souverain dans l’immobilier européen, selon le cabinet Real Capital Analytics. Depuis sa création en 2005, QIA a investi plus de 13,5 milliards d’euros en Europe, avec une nette préférence pour la Grande-Bretagne, l’Italie et la France (voir plus bas). Un intérêt qui s’est encore accentué ces derniers mois. Le fonds a fait des emplettes en Europe pour 3,7 milliards d’euros en 2014, soit 71% de ses investissements totaux de l’année dans le monde entier. Et sur les deux premiers mois de 2015, QIA a encore investi 1,2 milliard d’euros en Europe. Plus que la totalité de ses investissements mondiaux de toute l’année 2013.
La priorité de QIA est évidement le retour sur investissement. Le plus petit Etat du Golfe a beau compter parmi les Etats les plus riches du monde au regard de son PIB par habitant, il cherche à réduire sa dépendance aux richesses de son sous-sol. Le Qatar dispose des troisièmes réserves mondiales de gaz naturel, dont il est le premier producteur et exportateur mondial. Mais il souhaite diversifier ses revenus avec des sources moins volatiles qu’une matière première dont les cours fluctuent sans arrêt. L’Emirat s’est fixé comme objectif de récupérer plus de la moitié de ses recettes hors des hydrocarbures d’ici 2030. Un moyen de “stabiliser son budget”, explique Nabil Ennasri, le directeur de l’Observatoire du Qatar.
Dans cette optique, le Fonds procède à des achats avisés dans la pierre européenne: des immeubles londoniens, parisiens ou milanais qui n’ont aucune chance de perdre de la valeur dans les années à venir. Il se concentre sur des bureaux, des hôtels ou des centres commerciaux. Des types de biens qui lui rapportent un revenu locatif régulier et lui garantissent de belles plus-values à la revente. En particulier en France, où une convention fiscale l’exonère d’impôts sur ses bénéfices. Mais surtout, il cherche des propriétés prestigieuses, qui vont faire parler de lui.
“Des coups économiques qui se doublent de coups médiatiques”
En rachetant le Printemps et le Royal Monceau à Paris, ou le siège de HSBC à Londres, l’acquisition immobilière la plus chère du monde en 2014, le petit émirat cherche à gagner en notoriété. Ces investissements marquent l’opinion, notamment parce qu’ils sont des symboles. A Londres, capitale mondiale de la finance, QIA rachète entièrement le quartier de la City. A Paris, capitale mondiale du tourisme, il se focalise sur les hôtels et les rues les plus prestigieuses.
La logique est la même que celle qui a présidé à la création de la chaîne de télé Al Jazeera, à l’organisation de compétitions sportives internationales, ou au rachat du PSG. Le Qatar veut rayonner à travers le monde, se faire connaître via “des coups économiques qui se doublent de coups médiatiques”, souligne Nabil Ennasri.
“Le prestige est une notion importante pour tous les Etats du Golfe, mais peut-être encore plus pour le Qatar. Le pays est bien conscient qu’il n’a pas la grandeur de la Chine, la puissance militaire des Etats-Unis, il ne siège pas non plus au conseil de sécurité de l’ONU. Alors pour accroître son influence sur la scène internationale, il mène une politique de visibilité”, précise le spécialiste.
“Personne ne connaissait le Qatar il y a dix ans”
“A partir des années 90, la majeure partie des dirigeants du Golfe sont vieux, arc-boutés sur leur vision du monde héritée de la guerre froide. A la tête du Qatar en revanche, se trouve un jeune homme, le Cheik Hamad, qui a fait ses études en Occident, a vu le monde changer. Conscient du pouvoir des médias et de l’image, il axe sa politique sur le ‘soft power’, la diplomatie du rayonnement, pour s’ancrer dans la carte du monde”, continue le directeur de l’Observatoire du Qatar. Avec succès: “Il y a dix ans, personne ne connaissait le Qatar”, pointe-t-il.
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