Histoire de Judas

Après Les Chants de Mandrin, Rabah Ameur-Zaïmeche signe une fiction étrange, contemplation magnifique de la présence de Jésus. La première scène, admirable, du film de Rabah Ameur-Zaïmeche Histoire de Judas réunit Jésus et Judas dans un paysage de désert. Un homme grimpe péniblement une dune sous le vent, jusqu’à une petite cabane misérable: Judas (interprété par le réalisateur) vient chercher Jésus épuisé par ses quarante jours de jeûne. Il porte sur ses épaules, précautionneusement, tendrement, le corps de l’ami, amaigri et encapuchonné, comme un ballot précieux.

Il y a deux plans différents dans le film. Celui de la narration indiqué par le titre: récit fictif dont le héros est le disciple à la sombre réputation. Et celui de la méditation, de la contemplation, apporté par l’image ; et là, c’est la figure de Jésus qui captive.
À la suite des nombreux écrivains qui ont cherché à réhabiliter Judas, ou en tout cas à expliquer son comportement et à comprendre son rôle dans l’économie du salut (de Thomas de Quincey à Borges en passant par Bloy, Boulgakov, Kazantzakis, Claudel…), Rabah Ameur-Zaïmeche a voulu «transformer cette figure de répulsion en figure héroïque».
Et il l’exonère de la trahison de la façon la plus radicale: Judas n’était pas là au moment de la Passion, il était parti en mission du côté de Qûmran, chargé d’éliminer tout témoignage écrit sur la vie de Jésus… Ce qui donne au scénario un petit côté thriller à la Da Vinci Code, curieux sinon très convaincant dramatiquement. Pour le réalisateur, c’est surtout symbolique: «Écrire, c’est figer. Les mots doivent rester vivants. Le Christ n’a pas voulu que ses paroles soient consignées. Elles doivent être aussi libres qu’un vol d’hirondelles. Il ne suffit pas de les lire, il faut en être imprégné jusqu’à la moindre cellule.»

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Cette imprégnation fait la beauté profonde du film: Rabah Ameur-Zaïmeche regarde avec les yeux du cœur. Il avait deux ans quand ses parents ont quitté l’Algérie pour Montfermeil, en 1968. Il a grandi entre leur piété musulmane et son attirance pour la foi chrétienne. «Petit, je dessinais Jésus, je découpais des vitraux dans des papiers transparents. C’était une façon de me fondre dans l’ambiance», explique ce réalisateur.
Depuis, il a fait, à travers le sens de la transcendance et celui de l’amour fraternel, du sentiment que la mort nous accompagne et qu’il est urgent de vivre l’instant avec le meilleur de nous-mêmes, un long parcours spirituel. Et, après avoir affirmé son talent dans des films à caractère plus social, il livre ici l’intime de ce «chemin du cœur», où le visage du Christ est central. Ce visage qu’il montre souvent caché dans Histoire de Judas : «On se doit de le peindre avec grâce, mystère et profondeur.» Son art de cinéaste l’inscrit dans la beauté et la sensualité du monde parce que, dit-il, «les éléments, la lumière, le vent, le sable, la texture de la peau ou de la chevelure, cette matière finalement est beaucoup plus insondable que l’invisible». Voir la belle scène de l’onction du parfum par Marie de Magdala, où la douceur de l’abandon dépasse l’érotisme pour aller jusqu’à cette prémonition de l’ensevelissement.

L’imagination artistique de Rabah Ameur-Zaïmeche rejoint ces «compositions» que les auteurs spirituels comme Ignace de Loyola recommandent pour nous rendre présents à la vie terrestre du Christ. «Donner chair à l’esprit demande de la délicatesse et du recul. Je ne me place pas dans le domaine de la foi religieuse, mais sur un terrain beaucoup plus concret, dans des paysages terrestres, au milieu d’un peuple pauvre et qui vit dans des conditions rudes, et dans l’oppression politique. En même temps, tout cela est périssable, c’est pourquoi j’ai filmé la rencontre de Jésus et de Pilate dans les ruines d’un temple romain, à Timgad. Elles rappellent, anachroniquement, un empire lointain et disparu.» Pour Rabah Ameur-Zaïmeche, la conscience d’être simplement «des voyageurs sur la terre» doit nous conduire à ne pas nous perdre en bavardages et en querelles, mais «à nous émerveiller et à respecter tout ce qui est vivant».

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