Par Samuel
Remplacez la faucille par le pinceau, et la description d’un des moissonneurs qui travaillent au Mas des Micocoules devient celle de Van Gogh, sur le motif par tous les temps :
Vieux capitaine de la faucille,
Que le soleil rôtisse ou mugisse
Le mistral, toujours à l’œuvre le premier !
(Mireille, Chant IX)
Ce n’est pas le seul rapprochement possible entre Van Gogh et Mistral. Nouvel arlésien, décorant sa Maison jaune, le peintre espérait recevoir un jour la visite des félibres : « aimant la Provence aussi franchement qu’eux, j’ai peut-être le droit à leur attention » (lettre 533). Aimant la Provence, et sa langue. « Mais je peux te dire ceci que la langue originale d’ici en paroles est d’un musical dans la bouche des Arlésiennes ! » (lettre 576)
Van Gogh fait souvent mention de Tartarin de Tarascon, une seule fois de Mireille. Il précise qu’il n’en connaît que des fragments traduits. Pour autant sa Provence est plus proche de celle de Mistral que de celle de Daudet. Des vers de Mireille seront « illustrés » par Van Gogh à son insu. Les vergers devenus blancs (li plantado emblanquesido, chant I), les plaines tranquilles sous les étoiles (li planuro estelado, chant VIII), les champs de blé roux et or (li grand terrado bladiero/E rousso d’espigau, chant IX), le Rhône la nuit (chant V)… Sans pittoresque adaptation à usage du public parisien, Mireille est une tragédie et Vincent comme Mistral décrivent un pays complet, total, où la nature est florissante et où le mistral rend fou et le soleil tue.
Vincent ne meurt pas, mais on peut deviner ce que sera sa vie ensuite. Je parle du jeune héros du poème avec qui le peintre partage un prénom, une vie vagabonde, jusqu’à l’épithète méprisante de bohémien. Dans le chant VI, Vincent blessé est découvert par trois porchers. Transposons la scène de la Crau à Auvers-sur-Oise :
Oh ! quel spectacle ! Dans les herbes,
Sur les cailloux, le visage
Renversé par terre, Vincent était gisant (…)
Sa chemise en lambeaux,
Et l’herbe ensanglantée, et sa poitrine ouverte !
C’est sous un autre angle que le musée d’Orsay s’intéresse à la dimension tragique du destin de Van Gogh. Une exposition relie deux vies, celle du peintre et celle d’Antonin Artaud. Bien des toiles présentées sont provençales : les vues d’Arles, du jardin de l’asile de Saint-Rémy de Provence, et le chef-d’œuvre qu’est Le fauteuil de Gauguin (appartenant au musée d’Amsterdam), où se déploie dans l’espace ce meuble typiquement provençal, digne du propriétaire des Micocoules, Maître Ramon… tandis que, dans le tableau qui en est le pendant, Vincent se réserve la modeste chaise de bois blanc qui sied au vannier, Maître Ambroise.
Alors Van Gogh, félibre d’honneur ? Il l’est de fait.