Comment en êtes-vous venus à vous intéresser à l’islam dans le monde du travail?
En 2016, Philippe Lobjois et moi-même avons publié chez Fayard « Ne pas subir, petit manuel de résistance en temps de guerre terroriste », un livre écrit entre le massacre du Bataclan et les attentats de Bruxelles. Il a attiré l’attention de David Montbel, jeune universitaire français travaillant sur l’islam radical. Il avait en particulier mis à jour, à la lecture des revues en ligne de Daech et d’Al Qaïda, l’existence d’une véritable stratégie du djihad économique. Elle a montré son efficacité en déstabilisant l’économie de l’Egypte, de la Tunisie ou de la Turquie par une série d’attentats entre 2015 et 2017. Même en France, l’économie a subi le contre-coup du terrorisme. Pourtant, notre enquête nous a conduit à saisir une dimension cachée, presque indécelable pour le grand public, de cette stratégie de conquête : la pénétration du monde du travail par l’idéologie islamiste. Les djihadistes nous livrent cette bataille sans bombe, en retournant contre nous le code du travail. Et ils le font avec beaucoup d’efficacité.
Quels sont les secteurs les plus touchés?
Ce sont les activités de main d’œuvre qui sont le plus touchées, là où se trouvent d’importants rassemblements de salariés à qui l’on confie des tâches d’exécution. On peut citer l’industrie automobile, l’agro-alimentaire, le BTP, la logistique, le nettoyage. Ces secteurs sont d’autant plus perméables qu’ils ont recours à des intérimaires, pour lesquels les entreprises utilisatrices n’ont pas de moyens de contrôle. Mais aujourd’hui, des entreprises constatent aussi des cadres au comportement inquiétant, comme ce directeur d’agence bancaire qui fermait son établissement situé en Seine Saint-Denis à l’heure de la prière, qu’il dirigeait lui-même pour tout le personnel. Et il y a aussi des secteurs plus stratégiques qui sont ciblés : selon les services de renseignement, les prestataires des aéroports de Paris figurent dans la liste de ces entreprises. Le responsable de la sécurité d’ADP nous a confié que plus d’une centaine de salariés se sont vus retirer leur habilitation à travailler « côté piste » depuis 2015. Enfin, le cas de la RATP est devenu emblématique, puisqu’un des terroristes du Bataclan était un ancien machiniste de la régie.
Comment se manifeste la progression de l’islam radical dans une entreprise?
La première étape, c’est le regroupement de deux ou trois militants. A partir de là, on voit apparaître des revendications d’inspiration religieuse : horaires de pause aménagés pour la prière, menu halal à la cantine, demande de congé pour l’Aïd, etc. Ensuite viennent les manifestations discriminatoires : pression sur les collègues musulmans pour qu’ils jeûnent pendant le ramadan, refus de se soumettre à l’autorité hiérarchique d’une femme, refus de serrer la main des collègues féminins. A la RATP, constant la récurrence de ce phénomène, la direction n’a rien trouvé de mieux que de supprimer le serrement de main entre collègues. Elle a édicté un précepte : « le serrement de main n’est plus la norme, ce qu’il faut, c’est se dire bonjour » ! Nous avons également constaté des cas de pénétration des syndicats, afin d’être protégé tout en exprimant des revendications religieuses, comme la défense des salariées voilées par exemple.
Comment réagissent les DRH ou les patrons d’entreprise devant l’islamisation et la radicalisation de leur personnel?
La première étape est la sidération : cachez-moi ce problème pour que je n’aie pas à m’en occuper. Ensuite vient le déni : de nombreux DRH ont été formés à la lutte contre les discriminations, ils ont négocié des accords en faveur de la diversité. Quand un manager vient les voir en disant qu’une des salariées nouvellement embauchée est arrivée voilée au travail, ils bottent en touche, suggèrent de « dialoguer », voilà tout. Les directions générales ne veulent pas s’occuper du sujet, les DRH ne veulent pas prendre de risque, les juristes du travail disent que la loi protège la liberté d’expression, donc on laisse le manager se débrouiller. Au mieux, il va temporiser, au pire il achètera la paix sociale avec les islamistes de son équipe. C’est ainsi qu’on assiste peu à peu au fractionnement communautariste du collectif de travail. Ce que le terrorisme cherche à provoquer de façon sanglante, le communautarisme l’opère par la pression psychologique. Finalement, la victoire du djihad à l’usine, ce n’est pas de décapiter son patron, c’est de réussir à voiler sa collègue.