L’histoire de la pâtisserie-confiserie Meert (Vidéo)

Cette superbe pâtisserie lilloise ravit les gourmets célèbres ou anonymes depuis 1761.
Vitrine Méert.
Il y a la Grand-Place, le Beffroi, la Vieille Bourse, le Palais des beaux-arts… Mais Lille tire aussi sa renommée de l’une des plus anciennes pâtisseries de France: Méert. Elle existe officiellement depuis 1761, ce qui en fait la «jumelle» d’une autre confiserie parisienne très célèbre, A la Mère de Famille. Un bon cru décidément que cette année-là. À l’oreille, on pourrait d’ailleurs les confondre comme l’écrivait, avec un brin de lyrisme, le journaliste originaire du Nord, Jacques Duquesne: «Un accent, aigu de surcroît, s’est posé sur le premier e. Mais à Lille et alentour, on a décidé de l’ignorer. On prononce “meer” tout simplement. Comme “mère”. Et elle est bien, cette maison au flamboyant décor, la mère de tous les amoureux des glaces, des chocolats et des gaufres. Comme une maman, elle se donne, elle donne douceur, tendresse, saveurs, bonheur exquis.»
Bref, les Lillois et les initiés aiment cette homophonie qui voit fusionner la figure maternelle et les gourmandises du 27, rue Esquermoise. Les propriétaires se succèdent au cours des siècles, mais l’enseigne «matronymique» ravive toujours le souvenir de l’enfance. Après le fondateur Delcourt, viendra en 1793 Rollez, lui-même glacier, qui fera réaliser en 1839 les vastes travaux de transformation qui donneront son aspect actuel à la boutique, jusqu’à ce qu’il cède celle-ci à Méert dix ans plus tard. Ce dernier la revendra en 1903 à la famille Cardon. De tous, c’est donc le Belge Michael Paulus Gislinus Méert que la postérité retiendra en gardant l’enseigne à son nom. Il faut dire que l’homme a le CV ad hoc. Cinq ans passés dans les «colonies», parmi les plantations de cacaoyers, canne à sucre, vanille et café, plusieurs séjours chez les plus grands confiseurs d’Europe, il connaît les produits et possède la technique. Dès 1849, sa gaufre connaît un succès fulgurant.

Charles de Gaulle et Buffalo Bill

Officiellement, la recette est publique, elle figure dans les deux superbes ouvrages que les éditions du Chêne ont consacré à cette institution (Méert. Une histoire de gourmandise, en 2012, etMéert.Nos illustres gourmands, en 2016). Il s’agit d’une pâte briochée, saisie en quelques secondes pour conserver son côté croquant à l’extérieur et très moelleux à l’intérieur. Elle est ensuite coupée dans le sens de l’épaisseur et rapidement fourrée d’un mélange de sucre, de vanille de Madagascar et de beurre. Blonde, d’un bel ovale, marquée de la fine résille du fer, estampillée du nom Méert en son milieu, la gaufre est vendue emmaillotée par paquets de six ou douze, dans une feuille dorée qui la préserve une huitaine de jours à température ambiante. Pas de conservateur qui dénaturerait son goût, c’est une règle intangible depuis toujours. Manquent sans doute à la recette quelques petits secrets de fabrication puisque des générations de pâtissiers amateurs s’y sont essayées sans arriver à en restituer précisément le goût et la texture.

La boutique Meert.

L’histoire ne dit pas si le général de Gaulle mit la main à la pâte. Car le Grand Charles, en souvenir des vacances passées enfant chez sa grand-mère, au cœur du vieux-Lille, resta toute sa vie fidèle à ces plaisirs démoniaques qu’il se faisait livrer à l’Élysée ou plus tard dans son domaine de la Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises.
D’ailleurs, le livre d’or de la maison Méert ressemble aux bonnes feuilles du Bottin mondain. Dès 1864, la pâtisserie devient «Fournisseur de Sa Majesté le roi des Belges», chouchou aussi de moult chefs d’État et familles royales régnantes. Nombre d’artistes, écrivains, personnalités célèbres ont tous, un jour ou l’autre, céder à cette gourmandise. De Winston Churchill à Marguerite Yourcenar, d’Alain Souchon à Amélie Nothomb, en passant par Jackie Kennedy, Jean d’Ormesson, Dany Boon, Jean-Claude Casadesus et même Buffalo Bill. D’ailleurs, il se raconte qu’en 1905 ce héros du Far West fit escale à Lille lors d’une grande tournée européenne de son spectacle Wild West Show. Il avait installé son campement avec hommes et bisons sur l’esplanade du Champ-de-Mars. Ses apparitions en stetson, bottes et habits frangés faisaient sensation dans le salon Louis XVI de Méert, où il venait boire son thé.
Les gaufres piquent la vedette aux autres spécialités qui ravissent tout autant les becs sucrés: gâteaux, chocolats, glaces, pâtes de fruits, confitures, brioches, macarons, puddings, biscuits, caramels, guimauves… Bref un arc-en-ciel de quelque 200 friandises qui n’a jamais connu la crise. Il faut dire que la boutique elle-même est une invite à l’intempérance. Un superbe décor pompéien et orientaliste, au style flamboyant à l’honneur au XIXe siècle qui en fait un lieu unique, chargé, précieux, auquel viendra s’adjoindre en 1849 un salon de thé de style néo Louis XVI, suivi plus tard d’un second, de facture Art déco. La seconde boutique ne verra le jour que dans les années 1930, jusqu’à ce que, enfin, les anciens ateliers soient transformés en salons de réception, au début du XXIe siècle. Curieusement, les superpositions de styles ne gênent pas l’équilibre de l’ensemble, tant l’opulence architecturale de cette bonbonnière correspond à la profusion exubérante des douceurs proposées.

Le projet d’un musée vivant

Aux commandes depuis 1996, son propriétaire, Thierry Landron, a donné une nouvelle impulsion à l’enseigne. D’autres boutiques ont ouvert à Paris, Roubaix, Bruxelles. Un restaurant a été lancé en 2008 avec à sa tête un jeune chef talentueux, Maxime Schelstraete, tandis que la gaufre elle-même donnait naissance à des collections «Ephéméert» en harmonie avec les saisons. Il se murmure qu’un livre est également en préparation sur l’art de vivre de Marguerite Yourcenar, grande habituée des lieux (le thé Caresse du Bouddha lui est dédié) qui habitait à trois cents mètres de la boutique. Et dans deux ans, de nouveaux ateliers de production seront opérationnels à la sortie de Lille, sur ce qui n’est encore qu’une friche industrielle de 4 000 mètres carrés. Un confort de travail et un investissement sur l’avenir pour cette vieille dame décidément très dynamique. La boutique historique, elle, sera toujours là mais les espaces regagnés pourront être reconvertis en salons pour des réceptions et soirées événementielles. Sans oublier le projet d’un musée vivant au sous-sol donnant accès aux superbes collections de moules et objets anciens, avec fabrication sur place de caramels et de gaufres devant les visiteurs. «De toutes les passions, la seule vraiment respectable me paraît être la gourmandise», écrivait Guy de Maupassant. Et dire qu’il n’a jamais croisé son contemporain, Michael Paulus Gislinus Méert.

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