Né il y a presque cinq ans, en décembre 2009, StreetPress veut jouer dans la cour des grands « nouveaux médias », comme Médiapart ou Rue89. Dans le monde des tout-en- ligne, il fait pourtant figure de petit poucet, et mise sur des formats rares à l’écran : les articles publiés nécessitent en moyenne cinq minutes de lecture, à l’image des articles au long cours publiés dans les magazines.
StreetPress ne réagit pas à l’actualité ; fonctionnant avec une équipe plutôt réduite, il ne pourrait pas rivaliser avec la nombreuse concurrence. Au contraire, le site préfère dérouler une ligne éditoriale « jeune » (pour ne pas dire jeuniste) avec des sujets qui reviennent comme des obsessions.
L’information anecdotique tient aussi une place étonnamment importante chez StreetPress.
La dénonciation de « l’extrême droite » est l’un de des thèmes les plus étudiés. Chaque mois, ou plus souvent, selon son humeur, la rédaction propose un florilège du « pire de la presse d’extrême droite ». StreetPress se gausse des ennuis judiciaires et financiers de ces confrères haïs et met en exergue des phrases censées décrédibiliser les idées supposées « patriotes » ou tout simplement d’inspiration chrétienne.
À l’inverse, les clandestins que StreetPress préfère appeler « sans-papiers », bénéficient de toute la bienveillance du site. Branché (ou croyant l’être), StreetPress s’attache à tout ce qui
est jeune, ou plutôt à tout ce qui « fait jeune ». Les journalistes y prennent assez explicitement parti pour les voyous des banlieues contre les policiers, comme dans un article récent intitulé Le business des outrages.
L’information anecdotique tient aussi une place étonnamment importante chez StreetPress. La rédaction n’hésite pas à consacrer par exemple un article assez long à une vente de cassettes audio qui, de son propre aveu, n’attire que quelques dizaines d’amateurs. C’est comme cela que StreetPress entend hiérarchiser l’information.
Les phénomènes de société, comme l’immigration – toujours présenté sous le même angle laudatif – le sexe, l’homosexualité, sont beaucoup plus souvent traités que les questions économiques. Les articles culturels, eux, sont réservés au seul art (très) contemporain.
Un succès en demi-teinte
Les formats longs peinent à trouver leur public sur Internet. Ceux de StreetPress dans lesquels quelques rares informations sont souvent perdues au milieu d’un long récit ne semblent pas faire exception à la règle.
Pour se faire une idée de l’audience du site, il faut aller sur les réseaux sociaux. Eux seuls, avec les nombres d’abonnements et les mentions “j’aime”, peuvent nous donner une idée de l’influence de StreetPress. Les quelques 10 000 “j’aime” récoltés sur Facebook par le site font pâle figure à côté des 70 000 mentions de Boulevard Voltaire, le site fondé par Robert Ménard d’inspiration opposée et pourtant plus récent. Rue89, auquel StreetPress voudrait se comparer, évolue carrément dans une autre galaxie avec plus de 420 000 “j’aime”.
Sur Twitter, l’audience de StreetPress n’est pas plus importante. Pour un site qui entend s’adresser aux jeunes urbains, en pointe sur les réseaux sociaux, c’est une piètre performance.
Au-delà du suivi de la page, l’écho des articles pris individuellement est lui aussi limité. Sur Facebook, les articles publiés par StreetPress peinent à rassembler plus de trente mentions “j’aime”, tandis que les commentaires restent rares. À titre de comparaison, Boulevard Voltaire récolte quotidiennement plus de cent mentions sur certains de ses articles.
Un modèle économique étrange
L’accès aux articles de StreetPress est entièrement gratuit. Alors comment, en dépit d’une fréquentation plutôt modeste, le site peut-il rémunérer une équipe de neuf personnes et payer ses frais de fonctionnement ?
Officiellement, StreetPress vit de la publicité. Le directeur du site, Johan Weisz-Myara, évoque des partenariats avec des annonceurs qui, au lieu d’acheter des espaces publicitaires comme cela se fait régulièrement, paieraient pour des lots d’articles mettant en valeur leurs produits ou leur cause. Le tout sans droit de regard sur le contenu produit. À la lecture du site, la réussite ne saute pas aux yeux, tant on peine à trouver ces articles publicitaires.
Il y a bien, sur le site, plusieurs placards publicitaires. Mais l’audience apparente fait douter de la viabilité d’un modèle publicitaire qui ne permet pas même de faire vivre les champions du secteur.
Pour faire fonctionner son site et payer toutes ses charges, StreetPress semble avoir trouvé un autre modèle, sans vraiment l’avouer.
StreetPress a en effet mis sur pied un programme de formation pour apprentis journalistes : la Street School. Il ne s’agit pas vraiment d’une école de journalisme, même si le terme est utilisé par ses promoteurs. La Street School est plutôt un programme de formation très accélérée, avec des cours uniquement organisés le samedi, quinze semaines par an. Les participants au programme bénéficient de cours dispensés par les journalistes de StreetPress et par des intervenants extérieurs, comme par exemple le 10 juin 2014, Abel Mestre, le journaliste du Monde spécialisé dans la chasse aux sorcières et au FN…
Journaliste engagé, Mestre ne craint pas les raccourcis. Devant les auditeurs de la Street School, il démontrait en effet que le FN était un parti « extrémiste » parce que la préférence nationale, qu’il défend, « a été considérée comme illégale par un tribunal administratif ». Un raisonnement étrange. Le tribunal administratif de Paris ayant interdit le travail du dimanche chez Séphora en juillet 2013, faudra-t-il considérer comme « extrémiste » tout élu défendant le travail dominical ?
Gratuite, la formation est sponsorisée par des partenaires. Et ce sont ces partenaires qui semblent pouvoir constituer une source importante de revenus la plus fiable pour la petite entreprise de Johan Weisz.
Des sponsors engagés
La liste de ceux qui soutiennent la Street School, et donc StreetPress, est affichée sur le site du programme de formation, sans qu’apparaisse clairement la nature ou le niveau de contribution de chacun. Parmi ces soutiens figurent des médias : le gratuit Metronews, le magazine So Foot ou Radio Campus. Tous ces partenaires médias ne disposent pas de la même force de frappe et il est difficile de connaître la nature de leur soutien.
Mais le programme est aussi soutenu par des partenaires dont la puissance financière ne fait aucun doute. Free, l’opérateur de télécommunications du milliardaire Xavier Niel, fait partie de la liste. L’homme, co-actionnaire du Monde et du Nouvel Observateur, est connu pour investir des sommes considérables dans les médias.
À côté de Free figure la fondation Evens, du nom d’un couple de philanthropes belges passionnés par la construction européenne. Sur son site, la fondation explique qu’elle soutient des projets « qui contribuent au progrès et au renforcement d’une Europe fondée sur la diversité culturelle et sociale ». Un vrai petit manifeste politique en une phrase.
Un autre philanthrope, beaucoup moins discret que la famille Evens, apparaît également parmi les soutiens de la Street School : George Soros.. Le milliardaire américain, qui a fait fortune en spéculant sur les devises, s’est fait une spécialité de soutenir des causes politiques par l’intermédiaire des Open Society Foundations. Soros est notamment connu pour avoir offert un trésor de guerre 100 millions d’euros à Human Rights Watch, une association qui, sous couvert de promotion des droits de l’homme, avait critiqué la loi française interdisant le port du voile intégral dans la rue. Le milliardaire se vante également d’avoir financé l’insurrection de la place Maïdan, fin 2013 en Ukraine. Soros est aussi souvent associé au groupuscule Femen qu’il financerait. Enfin son nom est régulièrement évoqué comme un « partenaire » de la CIA (une de ses fondations dirige aujourd’hui radio Free Europe/Radio Liberty, la radio de la CIA pendant la guerre froide ! voir ici pour en savoir plus : Soros, le maîtres des ONG) Autant de partis pris qui pourraient introduire un véritable biais dans l’analyse journalistique
Des mercenaires du journalisme
En lisant attentivement les pages du site, on apprend que StreetPress est éditeur de H, le magazine des jeunes médecins. Émanation de l’Inter-syndicat National des Internes (ISNI), ce trimestriel gratuit a été confié à StreetPress à l’occasion de sa refonte, à l’automne 2013. Le ton de H est calqué sur celui de StreetPress : urbain et branché, c’est un outil de séduction pour le syndicat professionnel. L’ours du magazine précise que la rédaction est dirigée par Johan Weisz, secondé par Elsa Bastien et d’une bonne partie de l’équipe de StreetPress. Autant de personnes rémunérées, au moins partiellement, par l’ISNI. De quoi questionner l’indépendance de StreetPress le jour où le site traitera certains sujets liés à la santé.
StreetPress ressemble finalement davantage à une vitrine destinée à vanter une équipe de rédacteurs qui vendent leurs services pour la formation ou l’édition, qu’à un véritable média qui rechercherait l’équilibre économique dans un partenariat avec ses lecteurs et, éventuellement, des annonceurs attirés par ces lecteurs.
La formation en école de commerce du patron du site, Johan Weisz-Myara, n’y est peut-être pas étrangère. Diplômé de l’ESSEC, Weisz – connu à l’état-civil sous le nom de Jonathan Myara – est né en 1983. Il a commencé sa carrière Journalistique à Radio Shalom, une radio communautaire juive de gauche. À cette époque, il a co-signé un livre, OPA sur les juifs de France (Cécila Gabizon et Johan Weisz, OPA sur les Juifs de France. Enquête sur un exode programmé 2000-2005, Grasset, 2006, 264 pages) dans lequel il enquêtait sur un exode de la diaspora juive de France vers Israël organisé par l’État hébreu. Weisz y dénonçait notamment le rapprochement de la communauté avec « le radicalisme de droite pour mieux s’opposer au danger islamiste perçu comme prioritaire ».
Johan Weisz, un homme de réseaux
Entrepreneur, Johan Weisz est un homme de réseaux. Il est notamment lié à l’historien socialiste Patrick Weil à plusieurs titres. Celui-ci est d’abord actionnaire de StreetPress. Weil a aussi accueilli StreetPress pendant plusieurs mois dans les locaux de Bibliothèques sans frontières, une ONG qu’il préside. Weil a enfin colonnes ouvertes chez StreetPress, où il exprime assez régulièrement ses idées sur l’immigration ou l’intégration. Ancien membre de la commission Stasi et du Haut Conseil à l’Intégration, c’est un partisan déclaré de l’extension du droit du sol.
Le nom de Johan Weisz est aussi souvent associé à celui de Cécilia Gabizon. Journaliste expérimentée, elle est aujourd’hui rédactrice en chef de la version en ligne de Madame Figaro. C’est notamment avec elle que Johan Weisz a écrit OPA sur les juifs de France. C’est également avec Cécilia Gabizon qu’il a fondé StreetPress, puis la Street School. Elle apparaît aujourd’hui en tant que directrice pédagogique du programme de formation en journalisme. Elle donne des cours qui peuvent être écoutés en ligne, sur les plateformes d’hébergement de vidéos.
Dans la droite ligne éditoriale de StreetPress, Cécilia Gabizon défend un journalisme de terrain. Fière d’être née de parents étrangers, elle explique que les gens ont « une perception étroite du monde ». Aux journalistes, donc, de leur ouvrir les yeux. Elle invite vivement ses ouailles à se rendre en banlieue, son terrain préféré lorsqu’elle était grand-reporter au Figaro. Et quand elle raconte un reportage au cours duquel, en octobre 2001, elle avait entendu des jeunes de banlieue lui dire que « Oussama [Ben Laden] il est trop fort », c’est pour expliquer à son public que c’est pour eux une façon de faire entendre la « situation sociale trop difficile » de «ces gamins ». Une façon assez personnelle d’interpréter les faits.
Entouré de ses influents financiers, StreetPress est sans doute un outil de formatage plus influent qu’il n’y paraît, en particulier grâce à ses activités de formation. Derrière le site, c’est finalement une entreprise discrète mais vraisemblablement efficace d’un point de vue financier que nous avons découverte. Une entreprise où libéralisme sociétal et libéralisme économique marchent main dans la main.