Lu d’ailleurs / Au musée Bourdelle / La vie d’atelier

Présent

Samuel

A part l’Héraklès archer dont on connaît la silhouette parce qu’il a longtemps figuré sur des cahiers, des protège-cahiers et des buvards, les sculptures de Bourdelle ne sont pas populaires. Coincé entre son aîné Rodin et son contemporain Maillol, Antoine Bourdelle (1861-1929) attend encore une reconnaissance.

Il a son musée, pourtant, à Montparnasse. Il s’installa en 1885 impasse du Maine, un endroit sauvage où les ateliers fleurissaient. Depuis, l’impasse a été percée et est devenue la rue Antoine Bourdelle. Elle frappe par l’incohérence de son architecture. Le musée lui-même est une imbrication de parties anciennes et modernes.

Un cloître, des cours, une allée où un chat méfiant progresse d’une sculpture à l’autre ; l’atelier est resté dans son jus avec le parquet et les murs crasseux, la verrière par où passe l’égale lumière du Nord, les sellettes. Un étroit escalier mène à une galerie. Le poêle est là, élément clé car les courants d’air et les masses de terre humide forment un climat hostile. Artisanat que la sculpture. Bourdelle s’enorgueillissait de la condition de ses grands-pères, un chevrier et un tisserand, de son oncle tailleur de pierres, de son père menuisier-ébéniste.

Combien reste-t-il de ces ateliers dans Paris ? Celui d’Henri Bouchard, dans le XVIe (devenu musée), celui de Léon Séverac du côté du Pôle Nord ; Petrus a fermé le sien, près de Bastille, en 2007. Combien d’autres ateliers sont devenus des lofts, des magasins, des espaces je-ne-sais-quoi ? aux mains de bourgeois qui ont usurpé le beau nom de « bohême »…

Intimités

Photographies et documents, l’exposition temporaire « Bourdelle intime » fait revivre les lieux où vie professionnelle et vie familiale étaient mêlées.

A peine installé, Bourdelle le Montalbanais a fait venir à Paris ses parents près de lui. La famille loge dans le pavillon sur la rue. Sa première femme, le peintre Stéphanie van Parys, prend la pose. Bourdelle se remariera avec une élève, Cléopâtre Sévastos. Au moment du divorce, son ex-femme réclama sa part sur les œuvres. Une note rédigée par Bourdelle explique que celles-ci ont été évaluées par Rodin qui, les aimant beaucoup, n’a pas été objectif : des experts « ordinaires » les évalueraient à la moitié, voire au quart.

Du premier mariage, Bourdelle a un fils, Pierre, qui s’expatriera en Amérique du Nord et y fera carrière comme sculpteur et décorateur. Du second, une fille, Rhodia. Sa persévérance a permis la création du musée. Ils apparaissent en photo, mais aussi sur des peintures, car Bourdelle peignait.

Les amis, les élèves ne sont pas loin, Maillol, Matisse, le graveur Louis Ruet, ainsi que Hedwig Woermann : cette élève était passée par la colonie de Worpswede sur laquelle Rilke nous a laissé d’intéressants témoignages.

Bourdelle pose au milieu des œuvres ou s’arrête un instant de travailler. Sur un cliché de 1903, il apparaît assis au milieu de ses praticiens, groupés autour du Torse de Vénus (illustration). Lui-même fut un des praticiens de Rodin. Dans le jardin, on trouvera le buste qu’il a fait du maître ; et aussi son Carpeaux au travail. Ces deux sculpteurs font partie de ceux auprès desquels il a appris le métier, n’en omettons pas Jules Dalou qui était, à Montparnasse, un voisin. Il n’apparaît pas sur les photos.

Autre document, une lettre adressée à ses parents par le jeune Bourdelle. L’extrait de naissance que ses parents lui ont envoyé porte « Bordelle ». Le voici inscrit aux Beaux-Arts sous ce nom, il est furieux. Il n’a réussi qu’à faire ajouter une mention sur les registres : « Bordelle, dit Bourdelle ».

Proclamons les princip’s de l’art !
Que tout l’mond’ se soûle !
Quoique l’plâtr’ soit un peu blafard
Il coul’ bien dans l’moule.

La Chanson des sculpteurs de Charles Cros ne résonne plus ici. Seules les sculptures parlent encore. Les figures qui entourent le monument du général Alvear sont impressionnantes. Ce sont des allégories, mais incarnées. Bourdelle est un artiste inégal, lorsqu’il est bon, il est superbe.

• Bourdelle intimeJusqu’au 23 février 2014, musée Bourdelle.

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