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Par Alain Sanders
Pour évoquer le Pagnol réalisateur, il suffirait presque d’égrener les titres de ses films. De Marius, dont il fut le coréalisateur en 1931, aux Lettres de mon moulin (1954), en passant par Angèle (1934), Topaze (1936 et 1950), Regain (1937), La Femme du boulanger (1938), Le Schpountz (1938), La Fille du puisatier (1940), Manon des sources (1952), etc.
Le cinéma de Pagnol, c’est toute la Provence (de naguère et déjà de jadis, hélas !). Aubagne, le Garlaban, les collines, la garrigue, des parfums, des graines d’anis. Mais c’est aussi l’histoire de « ceux qui n’ont jamais étudié qu’avec leurs mains » : le rémouleur, le puisatier, le boulanger, le menuisier, le fontainier. Des métiers séculaires. Et trois « ordres » emblématiques : le boulanger, qui nourrit le corps ; l’instituteur, qui nourrit l’esprit ; le curé, qui nourrit l’âme.
Ecoutons-les, évoqués dans ses films, ces métiers. Le boulanger d’abord : « Quand je touche la pâte, je vous garantis que je la bouge et que je n’épargne pas ma peine » (La femme du boulanger). Le forgeron : « Va, tu as assez gagné tes galons ! Tu as assez pétri le fer… » (Regain). Le menuisier : « Jure, jure sur ton établi ! » (Manon des sources). Le puisatier : « Mais avec des pioches, des bras et beaucoup d’amour, les sources, elles sauteront au soleil » (La Fille du puisatier). Le fontainier : « Ô coquin de sort ! J’ai promis de remettre l’eau pour midi… » (Manon des sources). Le rémouleur : « Il n’y a qu’une chose que je n’ai pas aiguisée : c’est le couperet de la guillotine, on ne me l’a jamais demandé » (Regain).
Mais qui oublierait les santonniers, les bergers, les chevriers, les bousquetiers, les pâtres, les bûcherons, les braconniers… Ils sont présents partout dans ses films, comme dans une santonnade. La crèche n’est-elle pas le vrai théâtre de la Provence ?
Giono et Pagnol
Jofroi (1934) est le premier long-métrage de Pagnol. Un film inspiré par une des nouvelles de Giono dans le recueil Solitude de la pitié (1929), « Jofroi de la Maussan ». Giono ne fut pas content du résultat et les deux hommes se brouillèrent. Façon Panisse, Escartefigue et Monsieur Brun au Bar de la Marine. Giono avait situé son histoire du côté de Manosque, Pagnol du côté de Marseille. Querelle de clocher ? Pas vraiment. Ce ne sont pas les « mêmes » Provence, effectivement…
Mais le premier vrai film de Pagnol, celui pour lequel j’ai une réelle affection, c’est Angèle. Il l’a écrit, produit, réalisé. C’est encore à Giono qu’il a emprunté le sujet : « Un de Baumugnes » (une des trois histoires de la Trilogie du Pain). Le film réconcilia les deux hommes. Souvenez-vous, car on les reverra souvent ceux-là : Saturnin (Fernandel), Clarius Barbaroux (Henry Poupon), Louis (Andrex), Albin (Jean Servais), bien sûr. Mais surtout, et quand je dis surtout c’est mon cœur qui parle, Orane Demazis (Angèle), petit oisillon fragile, prénommée Orane parce qu’elle était née à Oran. Mare nostrum…
Cigalon (1935), filmé au village de La Treille, près d’Aubagne, fut un échec. « Voilà un film qui me fit rire aux larmes. Mais il n’a jamais fait rire que moi, ce fut un four sinistre », dira Pagnol. La critique de l’époque parla de « galéjade ». Elle avait tort. C’est une très belle fable, et elle aurait enchanté Molière.
Avec Regain – toujours Giono –, Pagnol voit grand. Il reconstruit tout un village en ruines dans le massif de l’Eoure (entre Aubagne et Marseille) et s’entoure de ceux qu’il aime, de ceux qui l’aiment : Fernandel, Orane Demazis, Gabriel Gabrio, Henri Poupon. Pagnol, qui admire Virgile (il en a traduit les écrits), soutient là (et dans l’esprit même de Giono) une sorte de credo (qui ne sera plus très bien vu après 1944…) : la terre, elle, ne ment pas.
Des titres inoubliables
Un jour qu’il était dans le train, Pagnol lit le conte de Giono, Jean le Bleu (1932). Il n’a pas fini de lire le texte qu’il sait qu’il va le porter à l’écran. Ce ne sera pas moins que La Femme du boulanger. Sait-il alors qu’il va faire un chef-d’œuvre (Orson Welles dira : « C’est le plus beau film que j’ai jamais vu ») ? Il se donne en tout cas tous les moyens pour ce faire. « Sa » troupe, « ses » comédiens, le « bataillon des Marseillais » : Raimu, Ginette Leclerc, Charles Moulin, Robert Vattier (dans le rôle d’un curé d’anthologie), Charpin, Roger Bassac. Sans oublier un « couple » mythique : Pompon, le gros matou noir, et Pomponnette, qui en pince pour les chats de gouttière…
La Fille du puisatier (1940 : la date est importante) faillit avoir des ennuis avec la censure allemande en raison du caractère patriotique de certaines scènes. A sa sortie, en zone libre, le film connut, pour ses scènes patriotiques notamment, un grand succès. Les acteurs fétiches étaient au rendez-vous : Raimu, Charpin, Fernandel, la délicieuse Josette Day.
Le cas de Topaze qui, comme on le sait, est à l’origine une pièce de théâtre de Pagnol, est intéressant. Il y en eut une première adaptation cinématographique de Louis Grasnier en 1932, avec Louis Jouvet. Et puis une autre adaptation, en 1933, mais américaine celle-là (et avec le prestigieux John Barrymore), de Harry d’Abadie d’Arast. Déçurent-elles Pagnol ? En 1936, il donne une première version. Comme une mise en jambes, un échauffement pour le film de 1950 avec Fernandel et Jacqueline Pagnol.
Pour Manon des sources, je me contenterai de citer Hervé Bazin : « Il y a dans ce conte magnifique la grandeur antique de la Méditerranée. »
Mais nous parlons là d’un autre temps, d’un autre cinéma et d’un grand monsieur qui n’avait pas d’autres prétentions que de « faire rire tous ceux qui ont tant de raisons de pleurer ».
• Pour aller plus loin : Marcel Pagnol cinéaste (Seghers, 1974) de C. Beylie ; Les Films de Marcel Pagnol (Julliard, 1982) de R. Castans ; Marcel Pagnol (Artefact, 1986) de D. Pompa.