Chansons vivantes et musiques mortes

On se souvient de La Queue du chat ou encore de La Confiture. Philippe Tourenne, le dernier des Frères Jacques, est mort à 93 ans à Montréal. Issu du grand renouveau de la chanson traditionnelle française lancé dans les Chantiers de jeunesse, le quatuor rencontre ses premiers succès en mai 1946. Leur costume avec collant, gilet de couleur, gants blancs, moustache et chapeau, met en valeur leurs mimiques soigneusement étudiées pour amplifier les paroles de leurs chansons.

Elles sont tirées du répertoire traditionnel, humoristique ou encore grivois. Ils intègrent aussi des compositions de Prévert, Queneau, Boris Vian ou Francis Blanche. Leurs nombreux enregistrements ne rendent que très partiellement leurs prestations animées, qui mimaient les paroles et ainsi donnaient vie à leurs chansons. Illustration d’une époque où la chanson française produisait encore de la musique vivante. Un double DVD, Les Frères Jacques, contenant plus de cinquante de leurs meilleures chansons ainsi que le film Paris ébréché, a été édité par l’INA en 2016.

Les chansons au succès planétaires ne naissent pas par hasard. Un journaliste du New Yorker publie une enquête sur les usines à tubes. En réalité, très peu nombreux sont les compositeurs ou les concepteurs qui savent marier paroles et musique pour en faire des titres envoûtants. Ils sont essentiellement scandinaves, car une instruction musicale poussée est complétée par une excellente formation en anglais. La musique est importante, mais c’est surtout le jingle, les quelques notes accolées à un rythme lancinant, qui font le succès. Ce cocktail subtil nécessite un savoir-faire très particulier. Ces techniques relèvent plus de la manipulation mentale que de la composition musicale. Elles assurent des succès mondiaux en marquant pour leur vie des générations. Elles entraînent d’énormes profits commerciaux pour ce qui est devenu une véritable industrie musicale capable de fabriquer des tubes comme on produit des hamburgers, aussi toxiques pour le lien collectif que les autres le sont pour les organismes, des musiques mortes pour corroder l’identité des peuples. A lire donc : John Seabrock, Hits, enquête sur la fabrique des tubes planétaires, (éd. La Découverte)

Le site de partage musical What.cd, considéré comme la bibliothèque musicale la plus abondante d’internet, vient de fermer. On y trouvait des enregistrements rares, indisponibles ailleurs. Une plainte de la Sacem a déclenché une saisie des serveurs par la gendarmerie car le site permettait d’accéder à plus de trois millions de fichiers. Contrairement aux sites d’échanges ouverts à tous comme MegaUpload ou aux plateformes comme Napster ou The Pirate Bay, tous disparus, les réseaux privés fonctionnent sur invitation à partir de fichiers mis en ligne par les membres. Bientôt ne va plus subsister sur internet que l’échange individuel de fichiers.

Thierry Bouzard – Présent

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