Alexandre Del Valle est auteur et géopolitologue. Il enseigne les relations internationales à l’université de Metz et est chercheur associé à l’Institut Choiseul. Il a publié plusieurs ouvrages sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique dont Le chaos syrien, Printemps arabes et minorités face à l’islamisme.
Valeurs Actuelles a récemment révélé que Manuel Valls aurait refusé, avant les attentats de Paris, une liste de djihadistes français proposée par Bachar el-Assad pour des raisons idéologiques. Que pensez-vous de cette information ?
Alexandre Del Valle : Je ne suis évidemment pas étonné. Tous les stratèges le savaient et, encore une fois, le gouvernement a préféré garder son image de moralisateur pour plaire à des électeurs ou, pire encore, aux faiseurs d’opinion publique que sont les ligues de vertus et les médias politiquement corrects. L’intérêt de la France passe après pour la majorité des hommes politiques français depuis la mort de de Gaulle puis de Pompidou. Nous avons des gestionnaires professionnels de la (mauvaise) « gestion » et de l’électoralisme, mais plus de vrais hommes d’État dévoués à la Nation.
Je me souviens avoir discuté il y a quelques années de cette question avec Claude Guéant qui me disait que la Libye collaborait avec le gouvernement sur les migrations et les djihadistes tandis que la Syrie nous aidait sur le renseignement face à Al-Qaïda. Aujourd’hui, sans ces pays d’origine très précieux pour maîtriser les flux migratoires, pays que nous avons déstabilisés pour surfer sur l’émotion des révolutions arabes, nous n’avons plus d’interlocuteurs étatiques rationnels mais le chaos à nos portes et avons donc endommagé les clés de notre sécurité.
Tous les militaires de la Défense le savent, mais ils sont soumis au secret et à la discipline. En ne communiquant plus avec ces derniers régimes anti-islamistes, auquel on peut ajouter l’Irak laïque de Saddam que nous avons combattu durant 15 ans puis transformé en trou noir géopolitique et foyer d’Al-Qaïda et incubateur de Daesh, on s’est tiré une énorme balle dans le pied.
Alors comment qualifiez-vous la responsabilité des dirigeants dans les attentats de Paris ?
La responsabilité de notre gouvernement et de ceux qui lui ont précédé est absolument flagrante, indéniable, énorme. Elle n’est pas une simple erreur mais une faute. Je me souviens que dans le cadre de notes d’études géopolitiques au SGDN (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ndlr), il y a presque 20 ans, nous alertions déjà nos dirigeants sur la montée de l’islamisation salafisante en France en poitant du doigt des prédicateurs fanatiques venus de chez nos « amis » saoudiens et très actifs dans nos banlieues à la barbe de nos autorités. Nous leur disions que s’ils n’agissaient pas, le vers serait rapidement dans le fruit car les Saoudiens et autres fanatiques venus du Golfe arabo-persique ou du Pakistan allaient faire des petits qui ont notre nationalité… On ne nous a jamais écoutés. Le mal n’a pas été combattu idéologiquement à la source ; maintenant, le salafisme est « de chez nous » et pas seulement « chez nous ».
Aujourd’hui, il est déjà très tard. Les attentats de Paris sont la preuve de l’inconsistance de nos hommes politiques et de la « nationalisation » de la menace qui vient à la fois de l’extérieur et des cinquièmes colonnes intérieures. Un exemple : on n’a jamais interdit les livres du très officiel prédicateur égypto-qatari Youssef al-Qaradawi (vedette d’Al-Jazira) qui explique dans son best-seller en vente libre sur Amazon et dans toutes les librairies de France (Le Hallal et le Haram), comment battre sa femme et tuer les apostats et les blasphémateurs. Ce n’est pas un terroriste de Daesh, car il représente l’organisation des Frères musulmans en Europe et il co-préside l’Institut de formation d’imams européens basée en France à Saint-Léger-du-Fougeret (Nièvre, ndlr) depuis que Mitterrand fit autoriser cet institut… Imaginez le nombre d’obscurantistes que l’on y a formés depuis 30 ans…
Nos gouvernants ont laissé fanatiser légalement, parfois avec des subventions publiques accordées aux associations loi 1901, des générations entières de jeunes dans les banlieues et ailleurs… Ces jeunes radicalisés aujourd’hui sont les enfants-ennemis de ceux qui faisaient les marches d’SOS racisme dont ils dénoncent à présent la laïcité et qu’ils obligent à s’islamiser. Nos jeunes des banlieues à la dérive et aux mains des caïds que la police n’ose plus arrêter ont été jetés dans les bras des islamistes qu’on a aidé à proliférer chez nous au nom d’une suicidaire et coupable « pax islamica ». Pendant ce temps-là, l’Occident se trompait d’ennemis (« méchants Russes, méchants Saddam et Bachar, etc.) et d’amis (Qatar, Koweit, Arabie saoudite, Turquie, etc.).
Alors que les Saoud wahhabites, le Koweit et le Qatar financent les djihadistes que nous combattons au Mali ou en Syrie, un de nos alliés membre de l’Otan, la Turquie, achète du pétrole à l’EI, forme et appuie les djihadistes et laisse passer qui veut de la Syrie à l’Europe… Si Hollande a eu un éclair de lucidité sur la coopération nécessaire avec la Russie, il n’est pas prêt pour l’instant à se séparer de l’Arabie saoudite ou du Qatar duquel il est prisonnier pour des questions économiques. Sur ce point, le lien avec la transition énergétique et la COP21 qui se tient actuellement à Paris est clair : nous gagnerons la bataille contre le totalitarisme islamiste lorsque nous serons moins ou plus dépendants des hydrocarbures de ces pays.
Pensez-vous que la découverte sur les lieux de l’attentat du Stade de France du passeport d’un migrant syrien ayant transité par la Grèce infléchira sur la politique migratoire du gouvernement ?
Le seul mot migrant est une désinformation. Ceux qui viennent chez nous sont soit des migrants légaux, alors la chose est légale, soit des migrants illégaux, clandestins, qui violent la loi car ils franchissent les frontières sans notre accord, en nous obligeant de facto à les accueillir au nom de notre générosité humanitaire.
En outre, concernant les demandeurs du statut de réfugié, nombre d’entre eux l’ont déjà obtenu en Turquie et viennent tout de même chez nous alors que la loi prévoit qu’une fois qu’un demandeur a été reçu dans un premier pays d’accueil jugé respectueux du droit international, ce qui est le cas de la Turquie, il n’a pas le droit de demander un second statut de réfugié dans un pays tiers.
J’ajoute en outre que parmi tant de braves migrants présentés tous comme des victimes, des médecins et ingénieurs, des diplomés, donc des « chances pour la France », nombreux sont en réalité les faux réfugiés, les illétrés, les délinquants aguerris liés à des réseaux de trafics et même les sympathisants terroristes. En effet, sur 100 000 migrants, on peut compter, au minimum, une centaine d’islamistes radicaux susceptibles d’être liés à des groupes djihadistes et parmi eux une « élite » directement pilotée par Daesh ou Al-Qaïda et qui ont peut-être déjà été formés pour venir commettre des attentats chez nous…
Comment analysez-vous le virage sécuritaire de François Hollande après les attentats de Paris du 13 novembre ?
François Hollande est un homme très intelligent qui a aujourd’hui un prétexte extraordinaire pour mettre en place une politique sécuritaire en France et contenter une large partie de l’opinion publique sans être inquiété sur sa gauche. C’est un opportunisme hors du commun qu’il va exploiter jusqu’au bout. Étant donné l’horreur des événements qui ont fappé la France vendredi 13 novembre, il ne peut pas être taxé de « facho ». Dans un second temps, il s’expliquera en disant qu’il ne fallait pas que Marine Le Pen s’approprie le débat.
À savoir si cette politique va durer, l’avenir nous le dira. Si la France est à nouveau frappée par des attentats d’ampleur, il est possible que la politique change réellement. Mais il ne faut pas être naïf. À chaque fois qu’un attentat est commis, trois semaines après, on donne une publicité extraordinaire aux musulmans en rabachant la formule toute faite « pas d’amalgame ». Ce qui fait passer tous les musulmans pour des victimes, nous fait tomber dans le syndrome de Stockolm et donne une belle presse à l’islam.
Il est compliqué de connaître le lien exact entre Daesh et l’islam. Qu’en est-il pour vous ?
Eh bien, on peut dire que Daesh est à la fois intérieur et extérieur à l’islam. Pourquoi intérieur ? Car son terreau, le salafisme, contrôle tous les lieux saints de l’islam en Arabie saoudite. Mais, paradoxalement, il provient de l’extérieur car il s’influence de totalitarismes occidentaux. Il tire du communisme son sens de l’organisation, théorisé par Sayyid Qutb des Frères musulmans. Ensuite, le nazisme. Daesh lui emprunte l’antisémitisme farouche et l’expertise de la guerre psychologique.
Daesh est donc un totalitarisme qui s’appuie sur le salafisme et le wahhabisme. Tant que nous n’aurons pas désigné cet ennemi en tant que tel, nous n’arriverons pas à vaincre ce cancer. Il faut comprendre que Daesh est une maladie de l’islam. Le problème est que la mauvaise conscience occidentale n’a pas dit son dernier mot. Elle attrape au vol toutes les occasions pour interdire toute critique de l’islam au nom de l’islamophobie alors qu’aujourd’hui chaque attentat terroriste serait une bonne occasion pour réformer l’islam.
Vous parlez de l’action des gouvernants contre Daesh mais nous, Français, comment pouvons-nous résister face à ce nouveau totalitarisme ?
En Israël, le lendemain des attentats, les gens étaient revenus sur les lieux. Ceux qui, à Paris, ont décidé d’occuper les terrasses dès le week-end qui a suivi les attentats ont donné la bonne réponse aux terroristes. Il ne faut pas se laisser intimider et au contraire montrer que la vie continue comme avant. Pour contrer la peur, nous pouvons nous dire que, pour l’instant, en France, le terrorisme tue moins que les accidents de la route et le cancer. Il faut également éduquer les médias qui, indirectement, font le jeu de Daesh. Enfin, il faut lutter contre Daesh mais éviter que nos sociétés ne deviennent des prisons à ciel ouvert.