Après avoir travaillé au cabinet de Michel Debré, Yves-Marie Laulan a été secrétaire national du RPR, puis président du Comité économique de l’OTAN, professeur à Sciences Po, à l’ENA et à Paris II. Il préside aujourd’hui l’Institut de géopolitique des populations. Auteur de De Nicolas Sarkozy à François Hollande, la France à la dérive aux éditions de L’Æncre, l’homme est totalement « désillusionné », et encore le terme est faible.
— Vous aviez brocardé Nicolas Sarkozy dans votre précédent livre (Les années Sarkozy, même éditeur). Vous démolissez désormais son successeur : c’est un principe ou c’est la mort dans l’âme que vous semblez « regretter » l’ex-locataire de l’Elysée ?
— C’est bien un principe. La France vit à l’heure des « médiocres » ou des « présidents nuls ou nullâtres » depuis près de 40 ans. Mais je ne suis pas le seul à l’écrire. Eric Zemmour dit exactement la même chose dans son dernier livre Le Suicide français. Ceci étant, il y a bien « une préférence nationale pour la médiocrité ». Car ce sont bien les Français qui élisent leurs présidents, pas les Chinois ou les Allemands. Les Français sont un peuple médiocre et ils aiment la médiocrité. Ils s’y complaisent. Sauf exceptions grandioses et malheureusement fugaces. C’était le cas de De Gaulle ou de Christophe de Margerie. C’est comme cela. Il faut s’y faire. J’irai même plus loin, au risque de vous choquer. Les Français sont-ils faits pour se gérer de façon autonome ? La France, ce pays ingouvernable, ne devrait-elle pas être placée sous tutelle, celle d’un autre pays ou d’une institution internationale ? Il est vrai que c’est déjà un peu le cas avec Bruxelles et Angela Merkel. Tant mieux pour le pays.
— N’y a-t-il rien, dans cette première moitié du quinquennat de François Hollande, qui soit positif ? Et dans le précédent quinquennat ?
— Si, il y a quelque chose de remarquable dans les débuts du quinquennat de François Hollande : c’est l’abondance des promesses non tenues. On s’en souvient encore : « Moi, président normal ». Et l’instant d’après, voilà notre président galopin qui s’évade de nuit de l’Elysée à scooter, garde du corps à ses côtés, pour aller cajoler de près une midinette de rencontre. C’est beau, c’est grand la France… Et je ne parle pas des promesses sur le chômage et la croissance. Le malheur veut que Nicolas Sarkozy ne vaille guère mieux. On pourrait même assez légitimement soutenir que c’est lui qui a savamment « savonné la planche » pour son successeur. Après tout, 500 milliards d’endettement en plus en cinq ans, c’est lui. Les 35 heures, elles sont toujours là et le collège unique, c’est encore lui. Nicolas Sarkozy a été un imposteur, certes séduisant, un charlatan extraordinairement doué. Il fait songer au chasseur de rats de la légende allemande qui entraîne au son de sa flûte enchantée les enfants du village pour les noyer dans la rivière.
— Comment jugez-vous le retour – ou pour le moment la tentative de retour – de Nicolas Sarkozy ? Pensez-vous qu’il va réussir à revenir à l’Elysée ?
— Le meilleur électeur de Nicolas Sarkozy est évidemment François Hollande. Après un tel président calamiteux, on serait prêt à élire n’importe qui, même un comique comme Jean-Luc Mélenchon. Cela dit, le malheureux Sarkozy a accumulé un nombre incalculable de « casseroles » par étourderie ou par mauvais calculs. Chaque jour le pouvoir en place, qui le redoute par-dessus tout, s’ingénie à lui en attacher une nouvelle à la queue. Mais les « casseroles » n’ont en fin de compte guère de poids dans une compétition politique. Et je crois que le ras-le-bol des Français l’emporterait sur toute autre considération. Et puis, il faut bien le constater, la droite classique, malgré la chance qu’elle avait, a bien été incapable de créer un nouveau candidat vraiment crédible. S’il est réélu, Nicolas Sarkozy le sera par défaut. Mais son second mandat serait-il meilleur que le premier ? Il est permis d’en douter. Les hommes politiques ne changent pas vraiment. Seule leur image est modifiée.
— Vous opposez aux deux présidents français, actuel et passé, la figure du président russe Vladimir Poutine… C’est pourtant un chef d’Etat décrié ?
— Décrié par qui ? Par une certaine presse occidentale ou une partie de l’opinion publique en France. Mais certainement pas en Russie, où le président russe est apparemment fort populaire malgré certaines erreurs. L’annexion de la Crimée et la subversion au Sud de l’Ukraine en sont l’exemple. Pour ma part, je ne reprocherai qu’une seule chose à Vladimir Poutine : c’est de ne pas être président en France. Mais Poutine n’a pas la partie facile. Historiquement, gouverner la Russie autrement que par une main de fer a été une gageure. Ce pays a deux ennemis génétiques : l’espace et la vodka. On pourrait en ajouter un troisième : les Russes eux-mêmes, qui sont décidément bien difficiles à remuer autrement qu’à coup de pied. Ils ont une immense capacité à « saloper » tout, même les choses les plus élémentaires, par simple négligence. D’où des comportements proprement consternants, voire aberrants : exemple Tchernobyl ou, plus récemment, l’accident d’avion qui a coûté la vie au président de Total. Imaginez un peu : la chute de trois flocons de neige en hiver sur un aéroport de Moscou a de quoi provoquer le chaos le plus complet.
— Si Alain Juppé se qualifiait dans la primaire à droite et était le candidat de l’actuelle UMP à la place de Nicolas Sarkozy, qu’en penseriez-vous ?
— Je penserais qu’il a de la chance. Je connais bien Alain Juppé pour avoir longtemps travaillé avec lui à la Mairie de Paris. A dire vrai, c’est un personnage assez déplaisant sur le plan humain, froid, distant, immensément orgueilleux et content de lui-même. Pensez-donc : un inspecteur général des Finances… Ceci étant, on ne vote pas à une élection présidentielle en fonction de ses sentiments personnels. Juppé serait incontestablement un bien meilleur président que François Hollande. Mais a-t-il vraiment le sens de la France et l’amour du pays ? Il a incontestablement le sens de sa dignité, mais a-t-il vraiment des valeurs ? N’est-il pas, au fond, un opportuniste comme les autres, assez peu dépourvu de scrupules ? Au surplus, aurait-il le courage d’appliquer les réformes qu’il préconise ? Son échec de 1995 comme Premier ministre, du temps où il se proclamait naïvement « droit dans ses bottes », doit encore cuire dans sa mémoire. Mais peut-être a-t-il appris, ayant gagné de l’embonpoint et de la bouteille à Bordeaux, à mieux maîtriser son discours public. Et puis, il est devenu presque chauve. Ça fait sérieux. Mais de toute façon, le voudrait-il, aura-t-il la possibilité d’appliquer son programme, compte tenu de l’immense capacité des Français à repousser toute velléité de réforme un peu sérieuse ?
— Marine Le Pen a-t-elle réellement une chance, même minime, de l’emporter au second tour d’une présidentielle ? Ou est-ce une hypothèse aussi invraisemblable, actuellement, que son absence éventuelle au second tour ?
— Marine Le Pen, qui a de véritables qualités de femme politique et peut-être d’homme d’Etat, rassemble désormais sur son nom 25 % d’opinions positives. Elle a fait d’immenses efforts pour donner un peu de sérieux au programme du Front national, fort malmené par les incartades verbales de son père, qui n’a jamais su résister à la tentation de sortir une galéjade un peu choquante au mauvais moment. C’est bon pour le théâtre de boulevard, mais un peu fâcheux pour un homme politique qui veut paraître crédible. Marine a de très bonnes chances de se placer au second tour des prochaines élections, comme cela a été le cas en 2002. Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, une majorité de « frileux », de « prudents », allant de la gauche à la droite, se portera inévitablement au secours de la « République menacée » par le « fascisme » renaissant. Marine aurait ses chances en cas de catastrophe nationale : terrorisme généralisé ou effondrement économique irrésistible. Mais ce n’est pas pour demain.
De Nicolas Sarkozy à François Hollande, la France à la dérive d’Yves-Marie Laulan, éditions L’Æncre, 254 pages, 25 euros.
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