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Gaëlle Chamarande
Fadette détestait sa tâche de naissance située sur son mollet gauche. Elle avait grandi en même temps qu’elle et cela l’inquiétait : elle allait encore s’élargir, peut-être allait-elle envahir tout son mollet puis toute sa jambe ? Et enfin se répartir sur tout son corps jusqu’à ce qu’il devienne entièrement marron glacé comme sa tâche. Quelle horreur ! Elle y pensait le jour et le soir au coucher, elle rallumait alors la lumière toutes les cinq minutes pour vérifier si la tâche avait commencé ou pas sa tentative d’occupation.
Elle n’aimait pas cette tâche dont les autres enfants se moquaient à l’école avec des mots méchants : « Berk » ; « C’est dégueulasse » ; « Comment t’as attrapé ça ? » ; « C’est marron, c’est cochon ! », etc. Tous s’en moquaient à part Jérémy qui lui avait dit un jour à la récréation : « T’inquiète, ma mère m’a dit que quand on a une tâche de naissance à un endroit du corps, petit, ça veut dire que cette partie sera très belle plus tard. Donc, quand tu seras grande, tu auras de beaux mollets et moi un beau visage puisque j’ai une tâche sous l’œil gauche, regarde ! ». Fadette avait dû s’approcher : la tâche de Jérémy était minuscule.
Même si l’explication de la mère de Jérémy l’avait quelque peu soulagée, elle lui avait aussi semblé fort curieuse.
Cette tâche, si elle n’avait pas encore envahi son corps, envahissait son cerveau et la faisait se sentir différente. Elle se mit à porter moins de jupes ou alors avec des chaussettes remontant jusqu’aux genoux, ce qui ne manquait pas de déclencher les rires de ses camarades.
Elle cherchait un moyen de l’effacer : elle avait déjà essayé de la gommer avec sa gomme à la fraise, de l’effacer avec son effaceur, de la rosir avec son stabilo boss rose fluo. Rien à faire, elle était là, inéluctable, elle gagnait du terrain.
Fadette demanda à son père comment elle devait s’y prendre pour l’enlever : « On ne peut pas la faire enlever, elle est toute lisse, elle n’a aucun relief, elle fait partie de ton épiderme. En plus, ça serait dommage parce qu’elle est jolie en forme de demi-lune. Tu la supporteras plus tard, tu verras en elle une particularité, quelque chose d’unique. Moi je sais que tu es ma fille parce que j’ai vu cette tâche dès ta naissance et que je l’ai aimée tout de suite. On ne devrait pas parler de tâche mais plutôt de marque de naissance, de signe de naissance ou de reconnaissance même ».
Ces mots réconfortèrent Fadette : elle préférait effectivement avoir un signe de naissance plutôt qu’une tâche. Elle fit une enquête au sein de l’école pour repérer les enfants porteurs de ce signe distinctif, elle en recensa sept, Jérémy compris malgré la petitesse de sa tâche. Elle adressa un petit mot à chacun d’eux pour leur proposer de créer la société secrète des signes de naissance, rendez-vous lundi à 17h devant la boulangerie.
Elle les attendit en mangeant des smarties. Jérémy fut le premier à arriver. Elle lui expliqua son projet : faire face à la moquerie des autres en s’unissant pour être plus forts : « Tu comprends, nous avons quelque chose en plus, nous sommes spéciaux : nous, nous avons des cicatrices de naissance et c’est très rare. Pas parce que nous sommes tombés dans la cour, ni parce qu’un chien nous a mordu, nous avions déjà cette cicatrice dans le ventre de nos mamans. Nous avons vécu une histoire en plus. Moi je crois que nos mamans enceintes se sont placées sous la lune et ont exposé leur gros ventre, elles ont demandé sa protection, elle a accepté en dispensant ses rayons de lune sur les ventres. Les rayons ont touché une partie de notre corps. Donc, nos tâches sont des rayons de lune. Ni plus ni moins. Tu te rends compte ?! Ce sera notre secret ».
Personne ne sut jamais rien de cette histoire, les autres enfants ne vinrent pas. Mais Fadette accepta définitivement sa tâche et finit même par la voir comme un signe sacré protecteur. Elle lui donna plus de force.
Fadette se promit alors qu’elle ne laisserait rien, jamais rien dans la vie, venir à bout de son imagination.
