Jaquie et Michel, stars du X!

Numéro un en France, le site Jacquie & Michel a mis cul par-dessus tête l’industrie française du X. Enquête sur un phénomène bien moins bricolé qu’il n’y paraît.

Quand Pôle emploi recherche des acteurs porno
“Merci, Jacquie et Micheeeeel !” Ces quatre mots ne sont tirés ni d’une publicité ni d’un épisode des “Bronzés”, mais ont assurément le potentiel viral des répliques cultes. Comme le savent les millions de Français qui les regardent régulièrement, cette antienne provient de séquences porno amateur visibles sur internet. Elle est répétée jusqu’à cinq fois en trois minutes par des actrices en pleine action, remerciant Jacquie et Michel, donc, d’être besognées sous les yeux de cybermateurs.

Ces deux prénoms accolés nous font imaginer un aimable couple de retraités armés d’un caméscope, occupant leur temps libre à filmer les ébats de leurs voisins. Mais Jacquie et Michel (J&M pour les connaisseurs) n’a rien d’un passe-temps : c’est une entreprise de quatorze salariés très rentable, installée à Levallois-Perret, qui s’est hissée à la première place du web porno français.

“Chacune de nos vidéos est visionnée en moyenne 2 à 5 millions de fois, mais certaines dépassent les 15 millions de vues”, avance le responsable de la communication du site, qui se fait appeler Thierry (ce n’est pas son vrai prénom, mais le secret est une quasi-religion chez J&M, comme nous le verrons). C’est aussi un phénomène, un gimmick en vogue qui s’affiche sur les tee-shirts et se vocifère en soirée. Cet été, dans le sud de la France, il était partout.

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Instits dans la banlieue de Toulouse

La success story “Jacquie et Michel” est stupéfiante dans l’univers de la gaudriole française, terrassé depuis une dizaine d’années par une crise sans précédent, notamment à cause de la gratuité généralisée des vidéos X sur les “tubes”, ces grands portails porno (YouPorn, xHamster…) qui en diffusent à robinets ouverts. A l’origine de ce succès made in franchouillard, un couple, donc, Jacquie et Michel, dont nul ou presque ne connaît le patronyme ni les visages. Et pour cause : ils refusent toute interview.

La rumeur sur la Toile affirme qu’il ne s’agit que d’une idée marketing et qu’ils n’ont pas plus d’existence que M. Propre ou Mamie Nova. C’est inexact. Jacquie et Michel P. existent bel et bien. Ils ont respectivement 54 et 57 ans, deux enfants, et habitent, pas loin de Tarbes (Hautes-Pyrénées), un village de 2.500 habitants où, à la mairie, on explique “ne pas les connaître”. Pas la peine d’aller fouiner chez eux : un simple coup de fil, pourtant courtois, de notre part déclenche la fureur de Michel, qui dénonce un “harcèlement” et menace illico de représailles judiciaires.

On ne connaîtra donc que des bribes de leur biographie puisées chez leur entourage, mais aussi dans un livre très confidentiel qui leur a été consacré en 2006. Michel, fils de photographe, a croisé pour la première fois Jacquie en 1981, alors qu’elle avait le visage enfoui entre ses cuisses. Précisons que cette scène inaugurale se déroule dans une boîte échangiste de San Francisco, où le jeune Michel a posé son sac à dos le temps d’un été. Les deux Français rentrent ensemble dans la banlieue de Toulouse et deviennent instituteurs – lui sera ensuite professeur de technologie au collège. Ils continuent de se livrer au libertinage, mais vont peu en club, préférant des petites séances avec des amis et quelques collègues.

En 1997, sans le savoir, l’Education nationale donne un coup de pouce décisif à la gauloiserie française en offrant à Michel une formation pour monter un site web – pratique encore balbutiante à l’époque. Le prof envisage de créer une page en HTML pour les parents d’élèves, mais allez savoir pourquoi, trouve plus exaltant de mettre en ligne des photos d’une amie américaine, Jackie (une autre), nue sur son plongeoir. Il teste ainsi la plus vieille loi du marché du monde : mettez de la fesse, ça fait vendre. Son essai marche du feu de dieu.

Une ligne moins crade

Jacquie a alors l’idée de demander aux amis échangistes de poster leurs photos copulatoires – les vidéos viendront en 2007 – pour mettre sur pied une sorte de catalogue national du libertinage. Le site est gratuit, à une époque où les concurrents sont payants (à la minute), et il fait un carton. Yves, réalisateur et fondateur du site de X amateur Pornovrai.fr, qui a côtoyé le couple à ses débuts, se souvient :

Dès le départ, Michel s’est montré hyper exigeant et même franchement maniaque. Je ne crois pas qu’ils avaient pensé gagner de l’argent avec leur site. Mais l’exigence de Michel a fait toute la différence.”

Le prof élimine en effet rapidement les photos les plus médiocres ou répétitives, demande de les refaire si nécessaire, encourage les couples à ne plus se cacher derrière des masques (cela tue l’excitation des spectateurs) et établit une ligne moins “crade” que ses rivaux. Il raconte ainsi dans son autobiographie avoir zappé des clichés zoophiles, scatophiles, des vidéos de menstruations, des partouzes avec de vrais clochards, une femme nue en fauteuil roulant (qui s’est insurgée contre cette “censure”)…

Surtout, dès le départ, Michel comprend la nécessité de “faire vrai”. “C’est notre atout numéro un. Nous ne trichons pas, nos femmes sont réelles”, nous explique Thierry. J&M offre ce truc qui excite Homo voyeurus : la “fille d’à côté” surprise en pleins ébats. “Ne rangez pas votre chambre, ne la videz pas, laissez traîner les chaussettes par terre”, enjoignait Michel à ses premiers adeptes.

Ambiance confessionnal

Comme des quidams jaillis d’un reportage de BFMTV, les filles de Jacquie et Michel, toujours filmées caméra à l’épaule, sont d’abord des prénoms assortis de villes : “Claire de Béthune”, “Emilie de Noisy-le-Grand”, “Diane d’Orange”… Même habillées sexy, elles donnent l’impression tenace d’avoir déjà été croisées au bureau de poste ou au rayon surgelés de Franprix. Elles ne font pas rêver. Ni très élégantes ni toujours jeunes (beaucoup ont entre 40 et 60 ans) et, pour une bonne part, pas même jolies : visages ordinaires, seins fatigués, mollets forts, tatouages bof-bof…

Répondant aux questions du cameraman, les starlettes de J&M rappellent qu’elles ont un vrai gagne pain dans la vie (coiffeuse, chargée de clientèle à la banque, enseignante) et même, tabou ultime dans le X, des enfants. Ces filles faussement “bénévoles” sont en fait – chichement – rémunérées, 300 euros environ par tournage, que la vidéo soit visionnée une fois ou un million. Mais ça ne se soupçonne pas tant elles font nature.

Surtout, il y a les mots. A rebours du porno classique où les scènes de sexe sont muettes hormis les gémissements, chez Jacquie et Michel, ça parle. Enormément. Avant l’action, les Céline, Christelle et Sabine dépeignent, face caméra, leurs envies et fantasmes – sodomie ou éjaculation faciale, pour aller vite – dans une ambiance qui rappelle le confessionnal de “Secret Story”, avec les mêmes fautes de syntaxe mais égayée d’un vocabulaire à faire rougir. “Chiennasse”, “garage à bites” ou “videuse de couilles” sont des épithètes revendiquées assez volontiers par les interrogées, qui clament leur envie de se “faire démolir”, “démonter”, “défoncer” séance tenante.

Et quand ces dames ne sont pas d’un naturel assez cru, l’intervieweur les aide (“Dis-le à la caméra que t’es une bonne salope” “– Je suis une bonne salope”). La collision entre le décor de sous-préfecture et ces mots hypercochons fait “tilt” chez le spectateur. Très sérieusement, Thierry revendique :

Nous faisons du porno de province, pas pour les Parisiens bobos, nous sommes les Patrick Sébastien du sexe ! C’est cela que les gens recherchent, pas des actrices venues de Prague qui font l’amour sur des yachts.”

Enfin, il y a ce gimmick kitschissime, “Merci, Jacquie et Michel”.  Au début, cette phrase n’était prononcée qu’à la fin de la séquence, après éjaculation. Puis on s’est rendu compte que des petits malins raccourcissaient nos vidéos pour effacer leur provenance. Alors on demande à nos réalisateurs de la faire répéter régulièrement.”

Avec le résultat – viral – qu’on connaît. En 2004, Jacquie et Michel quittaient l’éducation. Aujourd’hui, ils s’acquittent de l’ISF.

“Fais-moi tourner, mon frigo est vide”

Mais qui tourne vraiment pour J&M ? Le X amateur, aussi appelé “pro am” (professionnel-amateur) n’est pas peuplé, comme voudraient le laisser croire ces vidéos faussement spontanées, d’acteurs et de réalisateurs “libertins” multipliant les tournages pour le seul plaisir de s’envoyer en l’air. “C’est un vrai business, avec ses tarifs et ses règles, et qui nécessite beaucoup d’énergie”, souligne Thierry Kémaco, fondateur du site porno MMM100.com et qui officie pour J&M depuis quinze ans. Trouver de nouvelles recrues prêtes à forniquer face caméra est un vrai travail.

Certes, J&M affirme recevoir “200 candidatures masculines par jour”, et même les sites plus petits ne souffrent apparemment d’aucune pénurie de phallus. “Mais faire l’amour devant une caméra, c’est une épreuve, précise Yves, de Pornovrai.fr. Au bas mot, les trois quarts des mecs perdent leurs moyens. Je fais donc appel à quatre ou cinq gars dont je sais qu’ils assurent.”

Ces vaillants érotomanes sont quelquefois bénévoles, plus souvent payés une centaine d’euros par tournage. Mais la vraie “valeur ajoutée” d’un site amateur, ce qui fait venir et revenir les internautes, ce sont évidemment les actrices. Qui sont ces femmes qui acceptent de se livrer devant des millions d’yeux inconnus ? Stéphane, de ProdX, explique :

Beaucoup sont dans des situations économiques difficiles. Certaines m’appellent pour me dire : ‘Fais-moi tourner, mon frigo est vide’, et ce n’est pas une formule en l’air.”

Alexia, mince liane brune de 29 ans, visible sur plusieurs vidéos de Jacquie et Michel, confirme :

Je sortais d’un intérim super dur chez les surgelés Picard et j’avais plus rien. Deux tournages X, c’est juste un gros week-end de boulot.”

Les aveux gourmands arrachés aux “grosses coquines” ne doivent pas faire illusion. Stéphane l’affirme :

L’argent est la motivation numéro un. Le cul, c’est toujours secondaire. Et quand on vous raconte sur le site de Jacquie et Michel que la fille est coiffeuse ou boulangère, c’est souvent du pipeau. Elle est au RSA ou, au mieux, caissière. Mais ce ne serait pas excitant de le dire.”

Et elles sont nombreuses à être candidates : “J’ai toujours plus de propositions que de possibilités de tournage”, affirme Thierry Kémaco.

Amateur un jour…

Reste que 300 euros, ce n’est pas cher payé pour quelques sulfureuses minutes susceptibles de compromettre une réputation pendant des années. “Franchement, des fois, je me demande si ces nanas pensent, s’étonne un réalisateur. On ne tourne pas deux, trois scènes ‘pour voir’, c’est inconscient.” Yves, de Pornovrai.fr, raconte : “Une fille m’a appelé en me disant : ‘Je serai bientôt prof, mais avant, je veux gagner des sous.’ Je lui ai dit : ‘Tu es dingue!'”

A l’heure où tout buzze en quelques jours, il est en effet illusoire de penser conserver quelque anonymat que ce soit. Alexia se souvient qu’elle n’a pas vraiment cru le premier réalisateur avec qui elle a tourné quand il l’a prévenue :

Y aura toujours une balance. Attends-toi à ce que tes parents le sachent dans deux mois, peut-être avant.”

C’est pourtant ce qui est arrivé. Elle se souvient :

J’ai été chassée de chez moi du jour au lendemain. Et mon mec s’est tiré, bien sûr.”

Une de ses partenaires de galipette, qui habitait dans une cité HLM, a reçu des cailloux dans ses vitres et entendu des “salope” voler sur son passage. “L’une de mes actrices n’a pas supporté la pression : elle s’est suicidée”, évoque même un réalisateur, la gorge serrée.

Le monde de l’entreprise ne raffole pas non plus des vidéos lestes du petit personnel et des remarques égrillardes des collègues à la machine à café. Un ex-acteur raconte :

J’ai perdu deux jobs à cause de ça. Le dernier, c’était à Carrefour, où j’étais responsable de vente. Ils ne m’ont pas officiellement viré pour ça, mais la direction a placé de la viande avariée dans mon rayon et hop ! Dehors.”

Et si, à bout de nerfs, une actrice exige d’un site qu’il retire la vidéo incriminée ? “Elle n’a pas juridiquement le droit, mais nous accédons à sa requête si elle rembourse les frais de tournage”, explique Thierry, de J&M. Autant dire que cela n’arrive pas. Ce serait de toute façon peine perdue : piratée et repiratée d’un site à l’autre, la vidéo circulera partout en quelques semaines.

Que reste-t-il alors pour se motiver ? Le “rêve” d’accéder au statut de professionnelle du milieu. “Je dirais qu’un tiers des amatrices envisage de faire carrière, mais la plupart n’y arriveront pas”, tranche Thierry. Pour une ou deux élues, des milliers devront accepter la dure loi du porno. Amatrice tu es, amatrice tu resteras. Thierry Kémaco admet :

Une fois que vous avez fait quelques séquences avec une fille, c’est fini. Certaines actrices me rappellent pour refaire un tournage. Mais ça lasserait le public.”

Les girls next door de Jacquie et Michel, après trois ou quatre prestations maximum, sont grillées. Pas leurs images, qui resteront. Et qu’il leur faudra assumer, longtemps.

#Jacquie et Michel en chiffres

Les sites de Jacquie et Michel attirent, selon Médiamétrie, quelque 5 millions de visiteurs uniques par mois. Ces chiffres sont “sous-estimés”, nous explique-t-on au siège : ils approcheraient plutôt les 12 millions.
La société revendique aussi 10,5 millions d’euros de chiffre d’affaires (en augmentation de 25% par rapport à 2014) et un bénéfice d’environ 3 millions.

Les profits ne viennent pas des vidéos, car les versions courtes (entre 2 et 10 minutes) sont gratuites, et les longues, payantes, sont peu téléchargées. Ce sont les services proposés par le site qui rapportent : numéros de téléphone rose surtaxés, sites de rencontres, vente de DVD… J&M emploie une dizaine de sous-traitants réalisateurs, possède vingt-cinq sites internet (de vidéos, de rencontres, de “visiocam”, où les femmes s’exhibent de manière inter active), écume les boîtes de nuit (le “Jacquie et Michel Tour”) et gère un merchandising florissant : tee-shirts, mugs, sextoys.

Impossible de trouver le prix d’une séquence vendue à Jacquie et Michel, mais il oscille entre 500 et 1.500 euros.

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