19 000 kilomètres en 16 mois: le voyage des Argonautes…

L’histoire de Jason, parti à bord du navire L’Argo pour retrouver la Toison d’or, en Colchide, sur les bords de la Mer Noire, est un des récits les plus anciens de la mythologie grecque. Ce mythe a-t-il un fondement historique ? En d’autres termes, Jason et les Argonautes ont-ils réellement existé ? Peut-on identifier les étapes de leur périple avec des lieux connus aujourd’hui ?

A ces questions, Dimitris Michalopoulos répond dans un livre d’une extrême érudition : le livre ne compte que 184 pages mais les notes et les références occupent à elles seules plus de 50 pages (934 notes et références au total !).

Né à Athènes en 1952, Michalopoulos a obtenu un doctorat d’histoire à Paris. Il a été professeur d’histoire à l’université de Salonique avant de diriger, de 1990 à 2000, le musée de la ville d’Athènes. Ce n’est donc pas un historien amateur qui se serait lancé, avec une prétention un peu ridicule, dans une entreprise de concordisme historique dont on pourrait voir rapidement les failles. Dans cette étude, il avance pas à pas, examine toutes les hypothèses et ne prétend pas résoudre tous les problèmes.

« Le voyage des Argonautes, écrit-il, constitue un des problèmes majeurs de la science, (…) la question à résoudre se trouve dans le périple en soi. Les sources s’accordent bien : les Argonautes voyagèrent depuis la Thessalie jusqu’au Pont-Euxin (justement appelé à cette époque-là Pont-Axin) en passant par l’Hellespont et le Bosphore de Thrace, mais ils rentrèrent prenant un itinéraire tout à fait différent. »

Le nom des voyageurs de L’Argo est connu (Jason eut, au départ, 52 compagnons). Tous rois ou fils de rois, ils partent pour ce que l’auteur appelle une « campagne ». Leur périple aurait eu lieu vers 2200 ou vers 1870 avant Jésus-Christ. Ils ont parcouru, estime l’auteur, « 19 000 kilomètres en l’espace de seize mois ». Après avoir conquis la Toison d’or, ils ne retournèrent pas en Hellade par le même trajet qu’à l’aller : « Ils ne rentreraient pas chez eux mais, au contraire, iraient vers le nord. En bons gens de l’Hellade, ils voyageaient pour faire aussi bien du commerce (et, le cas échéant, du pillage) que pour connaître des pays et des peuples autres que les leurs. » Ils iront jusqu’en Hyperborée, au nord extrême de l’Europe, avant de revenir par un itinéraire dont le plus probable passe par l’Atlantique et le détroit de Gibraltar.

Ouvertures

Plusieurs auteurs de l’Antiquité ont raconté le périple des Argonautes. Michalopoulos confronte leurs affirmations, recourt au savoir des géographes de l’Antiquité et aux données de la linguistique. Il faut scruter les textes tout en sachant que les Grecs anciens ne racontaient pas les histoires comme nous le faisons dans notre rigueur cartésienne (Qui ? Quoi ? Pourquoi ? Comment ?).

Au fil de son livre, Michalopoulos est amené à émettre des hypothèses, parfois fascinantes (sur les Scythes par exemple, pp. 101-102). En conclusion, il rappelle ce passage bien connu du Timée : « Au-delà des colonnes d’Héraclès, il y a une mer véritable et la terre qui l’environne est un vrai continent. » Ce continent dont parle Platon serait l’Amérique.

Les Minyens ou Pélasges, peuple auquel appartenaient les Argonautes, voyagèrent loin. Ces voyages durèrent jusque « vers la moitié du deuxième millénaire av. J.-C. » puis cessèrent « pour une raison que l’on ne peut pas bien expliquer ». Michalopoulos termine ainsi son livre : « On prétend que nos Minyens ne visitèrent pas que l’Europe de l’est et les îles Canaries, mais aussi l’Amérique, comme, d’ailleurs, le fit Ulysse quelques siècles après. On sait, en effet, que le grand périple décrit dans L’Odyssée eut lieu plutôt dans l’océan Atlantique que dans la Méditerranée. » Voilà qui ouvre une nouvelle porte.

Le livre de Michalopoulos n’est pas de lecture aisée tant il y a une densité d’informations et parce qu’il confronte sans arrêt les données géographiques de l’Antiquité à celles d’aujourd’hui. Mais c’est un livre qui change le regard que l’on peut avoir sur la plus haute Antiquité.

• Dimitris Michalopoulos, Les Argonautes, Dualpha éditions, 184 pages.

Yves Chiron – Présent

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