Génération champ d’honneur de Laurent Guillemot

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Par Yves Chiron

Le 100e anniversaire du début de la Première Guerre mondiale (août 1914) a déjà vu une avalanche de livres et le flot ne cessera pas, probablement jusqu’en 2018. Tous ne sont pas intéressants. Il y a des compilations, des redites, des tentatives de « coups marketing ». Il y aussi, heureusement, des ouvrages qui explorent des aspects méconnus de cette guerre. La Grande Guerre a été, pour la plupart des Français, la « guerre du Droit » et de la revanche ; mais le pape de l’époque, Benoît XV, la qualifiera d’« horrible boucherie qui déshonore l’Europe » et de « suicide de l’Europe civilisée ».

Laurent Guillemot, dans un excellent livre, a une approche originale, si intéressante qu’on se demande pourquoi personne avant lui n’en a eu l’idée. Sa famille est originaire d’un petit village de la Creuse, Auriat, 589 habitants en 1911 (122 aujourd’hui). Ce village, comme toutes les communes de France, possède un monument aux morts où sont inscrits les noms de tous les morts de 14-18. Il comporte 37 noms. Laurent Guillemot a essayé de reconstituer, à travers différentes archives, la guerre et la mort de chacun d’eux.

Son livre, illustré en couverture par une belle affiche de Sem, raconte donc 37 destins. « C’est environ une centaine d’hommes qui prend, le 3 août 1914, la direction de la gare de Saint-Léonard-de-Noblat ou de Bourgagneuf pour rejoindre Limoges ou Guéret et, de là, les différentes affectations sur leurs livrets militaires. Certains sont revenus pour de courtes permissions, mais d’autres n’ont jamais revu le clocher d’Auriat ni le toit de leur maison. Ils ont participé à toutes les batailles, ils sont allés sur tous les fronts et, en lisant l’histoire de chacun de ces soldats, c’est l’histoire de la Grande Guerre que l’on découvre, mais en la voyant à hauteur d’homme. »

 

Le glas, pas les cloches 

A Auriat, c’est donc un homme mobilisé sur trois qui est mort. Presque tous ces morts à la guerre ont servi dans l’infanterie mais il y eut aussi deux dragons, un chasseur à cheval et deux artilleurs. La carte, qui montre les secteurs où ils ont été tués, indique que cinq d’entre eux sont morts devant Verdun, quatre en Champagne, cinq au cours des terribles combats de Notre-Dame de Lorette.

Vingt-neuf sont morts au champ d’honneur même, six dans un hôpital militaire et deux dans leur village, chez eux, à la suite de leurs blessures (André Chaumeny est mort quatre mois après l’armistice, le 22 mars 1919). Le premier de ces morts d’Auriat, Jean-Baptiste Berland, a été tué dans les premiers temps de la guerre, dès le 24 août 1914. C’était son premier jour au front.

Le plus jeune, Léonard Catheloux, a été tué à 19 ans et 9 mois. Le plus âgé, Henri Piquet, est mort à plus de 41 ans. Il sert au Chemin des Dames puis en Champagne. L’interminable hiver 1917 lui est fatal. Il ne meurt pas au combat, il meurt des souffrances endurées : « Evacué pour maladie, il décède le 9 juin 1917 à l’hôpital maritime Sainte-Anne de Toulon, de tuberculose pulmonaire. »

L’héroïsme ou le simple courage quotidien n’ont pas manqué dans cette guerre. Tel Jean-Baptiste Léautron, envoyé à l’assaut (d’où il ne reviendra pas) le 23 septembre, avec un fusil de chasse, faute d’autres armes.

Le mot le plus juste sur ces hommes d’un village partis pour la guerre appartient sans doute à Teillaud, le bedeau de l’église, qui a tenu aussi les registres de la paroisse et y a inscrit, jour après jour, le nom des morts à la guerre. Dès que la nouvelle de l’armistice a été connue, le 11 novembre 1918, le curé d’Auriat lui a demandé de sonner les cloches pour célébrer la victoire. Teillaud n’a pas fait carillonner les cloches, il a fait sonner le glas. Au curé qui n’était pas content, il a dit : « Il y a eu ici trop de malheurs pour qu’on s’en réjouisse. Et puis, toutes ces femmes qui n’ont plus d’homme, tous ces enfants qui n’ont plus de père ! »

• Laurent Guillemot, Génération champ d’honneur, Editions de Fallois, 334 pages.

Lu dans Présent

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