La période cinématographique est riche en biopics. Nous évoquions, la semaine dernière, le film sur Tolkien, mais sorti au même moment, Noureev (The White Crow, en version originale), du comédien-réalisateur Ralph Fiennes, a de quoi également éveiller notre intérêt.
Bâti sur trois temporalités mises en parallèle d’un bout à l’autre du récit, le film ambitionne de restituer les passages-clés de la vie du célèbre danseur russe. Ainsi sont passées en revue son enfance à Oufa dans des conditions de vie pour le moins rudes, son inscription à l’Académie de ballet Vaganova de Saint-Pétersbourg à l’âge de 17 ans et les difficultés à s’y démarquer de ses camarades, et enfin la fameuse tournée parisienne du ballet Mariinsky de 1961 à l’issue de laquelle Rudolf Noureev parvint, à l’aérodrome du Bourget, à fausser compagnie aux hommes du KGB et à obtenir l’asile politique sur le sol français.
Mûri depuis près de vingt ans par Ralph Fiennes qui, d’après ses dires, fut fasciné par la biographie de Noureev, le film est surtout l’occasion de revenir sur le climat de tensions inhérent au conflit Est-Ouest. En effet, de crainte que ceux-là ne s’acclimatassent un peu trop bien au « mode de vie capitaliste », les membres du KGB pistaient à tout instant les danseurs du Mariinsky lors de leur tournée en France et se méfiaient grandement de Noureev, dont l’attitude désinvolte à l’égard de toute autorité était perçue directement comme un affront à la mère patrie.
Le danseur l’affirme sans ambages lors de la séquence au Bourget : d’autres comme lui, par le passé, ont été vivement sanctionnés, pour ne pas dire rééduqués (à base d’injections), pour leurs sympathies un peu trop ostensibles avec les Occidentaux. Là où le cinéaste fait montre d’honnêteté, c’est qu’il n’éprouve nullement le besoin d’alourdir la barque et de caricaturer l’autoritarisme soviétique, les faits parlent simplement d’eux-mêmes (les menaces aussi…). Le personnage de Rudolf Noureev, dans un tel contexte, et compte tenu de ce qui nous est montré de lui depuis le début de l’histoire, laisse naturellement cours à son caractère absolutiste et se joue volontiers des règles imposées par d’autres que lui. Une qualité qui fait sourire, mais peut aussi exaspérer, et Dieu sait que le personnage se montre exaspérant à bien des reprises…
Sous les traits du « seigneur de la danse », son compatriote Oleg Ivenko dévoile un jeu bien plus nuancé que ce à quoi nous pourrions nous attendre pour un tel personnage. Bien qu’il corresponde assez peu au rôle d’un point de vue strictement physique, avec la souveraine insolence qu’il dégage à l’écran, avec son regard, ses saillies et ses coups d’éclat, le comédien livre une interprétation crédible et emporte notre adhésion.
4 étoiles sur 5
Pierre Marcellesi – Boulevard Voltaire