Taïaut ! Taïaut ! Il faut croire que les Français ont ressorti les cors et les chiens : depuis quelques années, la chasse à courre connaît un regain d’intérêt dans notre pays. “De plus en plus, les consommateurs aisés préfèrent dépenser leur argent pour des activités exceptionnelles tels que la chasse, les voyages ou les repas coûteux plutôt que dans des sacs ou des bijoux de luxe”, raconte, en octobre 2016, la journaliste de Reuters installée à Paris.
En France, le nombre de chasseurs à galoper derrière une meute aurait doublé en quarante ans. Ils seraient 10 000 cavaliers et environ 150 000 suiveurs à vélo ou à pied en 2016, selon Pierre de Boisguilbert, membre de l’Association française de chasse à courre. “Très paradoxalement, dans une société toujours plus attirée par le végétarisme et très influencée par les reportages sur la maltraitance animalière, ce loisir ne s’est jamais porté aussi bien”, explique ce spécialiste de la vénerie.
Il dit être le candidat du renouveau. Il n’est pourtant pas contre un petit retour dans le passé. Mardi, le candidat Emmanuel Macron s’est déclaré favorable à la “réouverture des chasses présidentielles”. Devant les chasseurs, le candidat d’En marche a affiné ses arguments : les chasses républicaines représentent “la culture française”, “il ne faut pas être honteux, il faut les reconnaître comme un élément d’attractivité. C’est quelque chose qui fascine partout, ça représente la culture française, c’est un point d’ancrage”, a-t-il insisté.
Ces petites “sauteries au château”, une tradition officiellement abolie par Nicolas Sarkozy en 2010, véhiculent pourtant une image de faste, de tradition, réservée à quelques initiés. Ces chasses se déroulaient dans les propriétés de Rambouillet, Marly-le-Roi, ou encore au château de Chambord. Chaque année, une quinzaine de journées de chasse étaient ainsi offertes au nom du président de la République, à ses invités, pour leur permettre de courir après le petit gibier ou le sanglier. A chaque fois, c’est une trentaine de “happy few” qui sont sélectionnés, savant dosage d’industriels du CAC40, de chefs d’Etat africains ou du Proche-Orient, d’hommes politiques de tous bords, de personnalités de la police ou de la justice.
A chaque fois, c’est un petit rituel. Dans “Scènes de chasses présidentielles”, publié dans le Monde en 2009, la journaliste Raphaëlle Bacqué décrit la scène. “Lever à l’aube à Chambord. Les invités, qui ont dormi dans une auberge face au château, se retrouvent, au petit matin du vendredi, pour une élégante collation, avant de partir en 4 × 4 pour les 160 hectares clos de murs où se cache le gibier. A midi, on déjeune dans une clairière, et le soir, on se retrouve pour un dîner aux flambeaux dans la grande salle du château.” Entre mystère, tradition, repère d’initiés, ces chasses représentent “l’un des plus spectaculaires lieux de pouvoir français. Et sans doute aussi la plus visible traduction de survivances monarchiques”, estime la journaliste.(…)
C’est sous Jacques Chirac, pour la première fois, que ces chasses tombent en désuétude. En 1995, en effet, le président s’est fait élire sur le thème de la fracture sociale. Alors ces dîners aux chandelles, ce château de Chambord éclairé de mille feux, les grands mets et vins fins dans une belle porcelaine, et les chargeurs de l’Office national des forêts en tenue d’époque, ne cadraient pas vraiment avec la ligne affichée. D’autant que le président a dorénavant pour conseiller l’écologiste Nicolas Hulot.
Jacques Chirac a donc supprimé les chasses de Marly-le-Roi et de Rambouillet. Mais à Chambord, domaine de 5.000 hectares, sont encore organisées des battues de régulation “afin de maîtriser les populations d’animaux sauvages”. Mais le nombre de chasses, des invités, restent encore très mystérieux, comme le montre cette question à l’Assemblée du député Thierry Mariani sur le sujet en 2006, qui souhaite savoir “si ces chasses présidentielles existent encore”, et souhaite “connaître les conditions pour y participer”.
En 2009, Nicolas Sarkozy charge Pierre Charon, son conseiller à l’Elysée, de superviser les “battues d’Etat”, en sa qualité de président du Conseil d’administration de Chambord. “C’est lui qui sélectionne 30 chanceux – parlementaires, préfets, hauts fonctionnaires, magistrats et “une pincée de CAC 40″ – qui ont l’honneur d’être invités, au nom du chef de l’Etat, à manier le fusil”, écrit l’Express à son propos.
“La plus totale discrétion leur est promise : aucun nom, aucune photo n’est communiquée.” Mais les confidences restent. “Je rapporte à Nicolas Sarkozy ce que je picore à Chambord”, explique Pierre Charon à l’hebdomadaire. En juin 2010, Nicolas Sarkozy fait savoir dans une lettre à son Premier ministre, François Fillon, qu’il a “décidé de mettre un terme aux chasses présidentielles, qui seront remplacées par de simples battues de régulation, nécessaires aux équilibres naturels, et qui seront confiées à la gestion du ministre de l’Agriculture”.
Officiellement, donc, ces chasses présidentielles n’existent plus. C’est d’ailleurs ce qu’avait rétorqué Pierre Charon à Brigitte Bardot, qui l’avait interpellé en 2010 sur le sujet : “C’est parce que le domaine est sous la protection du président de la République qu’on parle de chasse présidentielle, mais cela n’a rien du tout de présidentiel”, argumente-t-il. Reste que sous ce terme de “battues”, la pratique demeure, toujours discrète, mais rassemblant encore, plusieurs fois par an, des personnes triées sur le volet. En 2015, Pascale Nivelle raconte dans son article “Chambord, les chasses bien gardées de la République”, publié dans Le Monde, que “certains vendredis entre septembre et février, les routes traversant le domaine sont, au petit matin, coupées par la gendarmerie. “C’est comme ça qu’on apprend qu’il y a une chasse au château”, explique agacé un propriétaire voisin alors contraint à faire de grands détours”. (…)