L’utilme auberge d’Imre Kertész

Peu avant de quitter ce monde, il y a un mois, ce monde où il aura vécu plus d’un enfer, Imre Kertész – l’auteur d’Etre sans destin – a donné naissance, dans la douleur, à un dernier livre : L’Ultime Auberge. Cet ouvrage fébrile et saisissant de véracité, mélange chaotique de journal et d’ébauche romanesque, a provoqué un certain embarras dans le meilleur des mondes. Il était temps que l’écrivain, lauréat du prix Nobel de littérature en 2002, détournât de l’actualité son regard térébrant : il posait, en effet, aux bonnes âmes un problème infiniment délicat.

Comment se débrouiller avec ses propos virulents et définitifs sur l’islamisation de l’Europe ? « L’Europe périra bientôt à cause de son libéralisme puéril et suicidaire. L’Europe a créé Hitler, et après Hitler s’est trouvée à court d’arguments : les portes se sont ouvertes devant l’islam, plus personne n’ose parler de race ou de religion, alors que l’islam ne semble plus connaître que le langage de la haine envers les autres races et religions. »

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Dans quelle catégorie du « nauséabond » faut-il ranger de telles outrances, quand elles sont proférées par un écrivain survivant des camps, primé, médaillé, nobélisé, adversaire incontestable de tous les fanatismes politiques ? « Je dirais comment les musulmans envahissent l’Europe, se l’accaparent, bref la détruisent […] La civilisation atteint un stade de maturité dépassé où elle n’est plus capable de se défendre, et ne le veut même plus ; où, d’une manière apparemment incompréhensible, elle adore ses propres ennemis. »

Le mieux est de passer ces « dérapages » sous silence ; ou bien de les évoquer en passant, marginalement, comme dans cet article du Monde où l’on se demande s’ils ne sont pas une conséquence du « grand âge », d’une sénilité intellectuelle un peu triste. Jugement déplorable qui ne fait que confirmer l’observation de Kertész selon laquelle règne une « contrainte » qui interdit de nommer et de combattre l’ennemi, et qui mène au « grand mensonge général ».

Gâteux, Imre Kertész ? Tout lecteur attentif de L’Ultime Auberge ne pourra que trouver cette insinuation pour le moins inappropriée : baignée dans le sang du réel, dans la souffrance et la révolte, la plume de l’écrivain tranche avec alacrité dans le vif des choses, attaque la roche du silence, fend les eaux troubles. Cherche la vérité, ou ce qui peut s’en approcher, arrache au néant le mot juste et précis. Et n’est-ce pas cela qu’on lui reproche, de ne pas s’adonner à la langue inepte, creuse et servile du journaliste dhimmi ?

Kertész nous aura lancé une ultime mise en garde, en dénonciateur farouche des barbaries : « Un monde meurtrier est en train de naître, le nationalisme, le racisme ; l’Europe commence à comprendre où l’a menée sa politique libérale d’immigration. Elle s’est rendue compte que la chose nommée société multiculturelle n’existe pas. » C’est peut-être en écoutant les gâteux que nous serons, un jour, des survivants.

Thibaut d’Arcy – Bulevaard Voltaire

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