Egypte / Les derniers secrets de la vallée des rois…

Propos recueillis par Victoria Gairin
 
Il faut s’armer de patience. Bien vite, la torpeur extérieure cède la place à la fraîcheur des parois. Prudemment harnachées, les équipes descendent tout doucement le long du corridor. La tension est palpable. À six mètres de profondeur, une cavité indique que c’est bien ici que se trouve la structure funéraire. D’abord une grande salle, puis trois chambres aux belles dimensions. Les yeux écarquillés, les archéologues prennent note. Bandelettes, masques mortuaires, vases canopes, châles à franges, restes de momies et de sarcophages en bois… La Vallée des Rois, tant de fois explorée, aurait-elle donc encore des secrets à livrer ?

 En ce mois de janvier 2012, Susanne Bickel, professeur d’égyptologie à l’université de Bâle et responsable de la mission Kings Valley Project, remonte au camp de base pour le moins émue. “Les matériaux, les textiles, les inscriptions sur les canopes… Tout laissait croire que la tombe KV40 abritait des personnages d’importance. Peut-être même l’entourage du pharaon.” Il existe dans la Vallée des Rois une quarantaine de tombes n’appartenant pas à un pharaon. Trois seulement ont été identifiées avant celle-ci : l’une appartient à une reine, une autre aux beaux-parents d’un pharaon, la troisième aurait servi de demeure d’éternité à un ami proche du souverain.

Avec le concours d’archéologues égyptiens, chaque pièce de KV40 est donc répertoriée, photographiée, archivée, analysée sous tous ses angles. Après deux ans d’étude, le verdict tant attendu : parmi la cinquantaine de momies retrouvées figurent bien des princes, des princesses, des enfants et des proches de la cour ayant vécu à la XVIIIe dynastie (vers 1300 avant J.-C.), sous les règnes de Toutmosis IV et d’Amenophis III. “Jusqu’à présent, nous ignorions où étaient ensevelis les membres de la famille d’un pharaon qui se faisait enterrer dans la Vallée des Rois”, confiaient les archéologues lundi à la presse. Située dans la province de Louxor à l’extrémité nord-ouest de la vallée, un peu plus loin que la tombe de Toutânkhamon, la nécropole, qui abrite une douzaine de tombeaux comme celle qui vient d’être explorée, n’a pas fini de livrer des informations précieuses. Avant de retourner sur les terres égyptiennes pour fouiller de nouvelles sépultures, Susanne Bickel s’est confiée au Point.fr.

 On croyait avoir fait le tour de la Vallée des Rois. Comment expliquez-vous ces récentes découvertes ?

Susanne Bickel : Je crois qu’il est temps d’en refaire le tour. Avec d’autres perspectives. Cette région d’Égypte nous a offert, outre des trésors fabuleux, des informations fondamentales pour la compréhension de l’époque pharaonique. Mais précisément parce qu’elle abritait les tombeaux des grands pharaons, on a négligé pendant des années un certain nombre de sites moins prestigieux qui pourraient permettre aujourd’hui de compléter l’histoire. L’égyptologue britannique Howard Carter a par exemple laissé de nombreuses tombes de côté, car elles ne présentaient rien d’intéressant à ses yeux. Il faut dire qu’après le tombeau de Toutânkhamon, il devait placer la barre bien haut ! Ce qui m’intéresse plus que tout aujourd’hui, c’est donc de réévaluer ces tombes, et de m’éloigner un peu de la figure omniprésente du pharaon pour étudier son entourage. On a encore tant de choses à apprendre…

N’est-ce pas aussi l’égyptologie qui opère depuis déjà quelques années un tournant dans ses sujets d’étude, passant de la royauté à la société ? 

Tout à fait. Maintenant que nous avons une idée assez précise de la généalogie, des grandes dynasties, et que nous avons localisé les sarcophages des grands souverains, il nous reste à étudier les à-côtés. Comment vivaient les Égyptiens ? Où étaient inhumés les membres de la famille royale ? Quels rapports entretenaient les sujets entre eux ? Les fouilles nous apportent tous les jours de nouveaux éléments de réponse.

Qu’avez-vous découvert d’intéressant dans cette nouvelle nécropole ?

Encore une fois, elle n’est pas nouvelle. Seulement, on ne jugeait pas que sa fouille pouvait être déterminante pour les recherches. La concession dont nous nous occupons depuis 2009 – nos fouilles ont été interrompues pendant la révolution égyptienne – comprend douze tombes, dont deux ou trois restent encore à explorer. La structure funéraire KV40 que nous venons d’étudier est passionnante non seulement car elle offre une structure complexe avec plusieurs pièces, mais aussi car nous y avons retrouvé des inscriptions sur des jarres. Nous savons désormais qu’elle abrite les corps de l’entourage proche des pharaons Toutmosis IV et Amenophis III. Et nous avons donc pu identifier une trentaine de noms et de titres qui vont nous être utiles. On sait donc qu’y sont inhumés quatre princes, huit princesses, mais surtout plusieurs femmes d’origine étrangère.

Qui étaient ces femmes ?

Sans doute des épouses du pharaon ou les femmes d’honneur de celles-ci. Le souverain scellait régulièrement des mariages diplomatiques par des alliances politiques avec les pays voisins.

À part les inscriptions et les restes de momies, qu’avez-vous retrouvé dans cette tombe ?

Tous les objets de grande valeur – l’or incrusté, les bijoux, le bois – ont été pillés, une première fois dans l’Antiquité, puis à la fin du XIXe siècle. Lors du deuxième pillage, les voleurs ont même vraisemblablement mis le feu à la tombe, sans doute par superstition, avant de s’enfuir. Heureusement, celui-ci s’est étouffé tout seul, et malgré la noirceur des murs des chambres, on retrouve une multitude de petits morceaux de vases canopes, de tessons d’amphores, de bandelettes, de poteries…

 Il y a aussi un châle à franges, et ce qui pourrait bien être la plus ancienne chaussette connue à ce jour ! Il s’agit d’une pièce de lin tissé comportant un pouce – puisque les Égyptiens de l’Antiquité portaient des sandales. On enfilait le pied, on rabattait une languette et faisait tenir le tout à la cheville par un lacet de lin tressé. Finalement, pour nous, le travail ne fait que commencer.

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