De la Provence à la Bretagne / Les langues régionales, ces racines qui donnent des ailes

 Par Claudine Dupont-Tingaud

Nos langues régionales font partie de notre patrimoine identitaire. Elles sont les sentinelles de ces particularismes locaux qui ont exigé de notre France qu’elle respecte ceux qui l’ont aidée à se construire et à vivre son unité dans nos diversités, ne serait-ce que pour donner des armes à l’Astérix que chacun d’entre nous s’imagine être contre le Big Brother de l’anglo-américanisme. Un Anglo-américanisme qui est un avatar de notre continent, certes, mais si utilitaire qu’il est devenu le langage maquignon d’une oligarchie mondialiste, d’une colonisation planétaire. Une pensée unique impose un parler unique auquel notre helléno-christianisme s’oppose de moins en moins, ainsi que le dénonce le linguiste Claude Hagège : « Dominés, nous adoptons le langage de l’envahisseur. »

Puisqu’il n’y a pas d’identité sans souveraineté, chacune de nos provinces a confirmé les siennes face à un pouvoir centralisateur, même lors de l’application de l’édit de Villers-Cotterêts (1539) de la standardisation du français devenu langue de la justice et de l’administration pour remplacer le latin.

Auparavant, il est vrai que l’indo-européen avait cédé la place au celtique, puis au gaulois, remplacé par le gallo-romain… et à partir du XIIe siècle par le français tout aussi localement, mais « langue du roi » au moins là où le pouvoir résidait en sa personne, que ce soit en Ile de France ou en Val de Loire. Le français devenait au cours des ans la langue véhiculaire de l’Occident lettré, le latin restant langue d’Eglise afin de réduire le pouvoir de celle-ci comme celui des « idiomes féodaux ».

Le mépris des « idiomes »

Le français est devenu la langue de la République. Cette « pierre d’angle » peut-elle être la propriété d’un système politique (article II de la Constitution) ? Bernard Poignant – celui qui parle à l’oreille d’un président qui n’entend rien – missionné par Lionel Jospin alors Premier ministre en 1998, vanta l’école, en 1998, fondée par « les Grands Ancêtres », comme si rien n’eut existé auparavant. Une école qui avait souhaité que désormais « chaque Français soit un républicain, un enfant de 1789… » Bernard Poignant citait le sinistre abbé jureur Grégoire : « Ces idiomes ont perpétué le règne du fanatisme et de la persécution, assuré la domination des prêtres, des nobles et des patriciens. »

A l’Assemblée nationale, fin janvier 2014, les échanges ne furent pas tendres lorsque fut débattue l’obtention d’un statut légal pour nos langues nourricières. Le jacobin Henri Guaino, s’appuyant sur un autre révolutionnaire et premier panthéonisé, Mirabeau, ne voulait « fabriquer » que des citoyens, alors que le Costarmoricain Marc Le Fur, tout en exigeant la pleine maîtrise de la langue française, plaidait pour la ratification d’un certain nombre de paragraphes (39 sur 98) de « la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ». Cette charte exclut, de manière impérativement formulée dès la première page, les langues des migrants. Que l’on se rassure, depuis 1789, la déclaration des droits de l’homme interdit tous les communautarismes, les nôtres d’abord !

Pourtant sont encore pratiquées dans la plus grande France 75 langues régionales, minoritaires bien sûr, mais historiques et respectées, pratiquées dans l’Hexagone, nos îles et Dom-Tom. Soit, au « beau temps des colonies », un grand nombre de langues couvrant cinq continents pour le plus grand rayonnement, en contrepartie, de la langue française. Territoires dont les ressortissants ne sont pas seulement cette chair à canon offerte à la mère patrie lors des deux guerres mondiales et même avant, en 1870 lorsque les Bretons « baragouinaient » pour obtenir de leurs frères d’armes « du pain et du vin » ! (Bara et gwin.) Ridicule ? Non, respectable.

Un monarchiste, Me Georges-Paul Wagner, nous rapporta ces propos de Jules Michelet pour les dénoncer : « Plus de classe, des Français, plus de provinces, une France ! » L’historien se félicitait par là de la disparition de toute énergie créative autonome que même l’absolutisme royal ne pût juguler.

Notre combat

Ne laissons pas à la gauche notre culture, nos cultures, cet envol de l’imaginaire appuyé sur une réalité géographique donnant à chaque lieu, chaque être humain ou animal, chaque élément matériel ou poétique une raison d’être et un passé que nos adversaires voudraient répudier, même s’ils font semblant d’être à l’origine de ce qui est non seulement notre combat actuel mais celui de toujours. Maurice Barrès ne définissait-il pas ces liens naturels comme « éthiques et esthétiques » et nés de nos patries charnelles et naturelles ?

Une langue commune n’est pas nécessairement une langue unique et il est reconnu que l’apprentissage de plusieurs langues ne fait que développer l’esprit, ce qui ne serait pas du luxe lorsque l’on lit que les jeunes Français sont parmi les moins instruits d’Europe. Il n’est que de regarder le résultat des élèves bilingues aux examens nationaux. Ayméric Chauprade, le brillant géopoliticien actuellement conseiller auprès de Marine Le Pen, n’a-t-il pas dénoncé ce « village global » vers lequel nous guide une uniformatisation qui n’est ni de l’esprit français ni de sa spécificité expansionniste, conquérante, généreuse et civilisatrice ? Bref ! de sa culture.

Dépopulation

« L’ignorance du français est un obstacle à la démocratie », affirmait la Révolution française, qui voulait avoir la mainmise sur les citoyens. La République le réaffirme aujourd’hui mais apparemment sans guère d’effet sur les populations « invasives » en passe de devenir le nouveau peuple, le peuple de remplacement – et donc à terme le nouveau pouvoir que « démocratiquement » nous ne pourrons qu’accepter.

Ne nous laissons pas déposséder dans ce combat ethno-culturel pour la défense de nos communautés d’enracinement et de vie. Car il est de la disparition de nos langues maternelles – oui, encore « maternelles » – comme du découpage électoraliste des cantons, héritage des pagus ou « pays », de savoir si nous acceptons de subir la destruction socialiste de la patrie par un ruralicide organisé au bénéfice d’une rurbanisation détricotant nos liens sociaux.

N’est-il pas vrai que nous sommes aussi les héritiers des orgueilleux constructeurs de la Tour de Babel défiant Dieu, puis chassés et essaimant sur la Terre chacun dans un langage différent jusqu’à retrouver notre vecteur commun, la foi ? Qu’elle nous guide dans les tempêtes. Ce sont les racines qui cèdent en dernier sous la pression de l’ouragan.

 

 

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