Petit paysan sur lequel Marie-Antoinette a un jour posé le regard, Martin Sourire est un de ces enfants adoptés par la reine, dont elle se souciera dans la vraie vie jusqu’au bout. Hélas, le perpétuel sourire de Martin, additionné à un mutisme tenace, finit par la lasser. Elle le laisse alors aux soins d’autres personnes qui l’abandonnent, à leur tour, à celui du hasard.
Martin devra se débrouiller dans ce vaste domaine de Versailles et finira par atterrir dans le hameau en pleine construction, regardant quelquefois à travers les grilles le vrai monde qui l’attire et l’effraie en même temps. Puis la famille royale devra quitter Versailles pour s’installer aux Tuileries.
Martin leur emboîtera le pas et découvrira ce Paris grouillant, occasion pour l’auteur de produire des pages convoquant tous les sens en restituant impeccablement l’atmosphère de la capitale aux premiers temps de la Révolution. Temps où elle n’avait pas encore sombré dans un jusqu’au-boutisme sanglant.
Martin, en bon patriote, va s’engager, mener des combats, dont la fameuse bataille de Valmy. Et, un jour, il intégrera les tristement célèbres colonnes infernales de Louis Marie Turreau de Lignières dont – pourvu qu’on admette de regarder l’Histoire telle qu’elle fut et non telle qu’on se l’est inventée ! – on n’oubliera jamais l’injonction : « Si mes intentions sont bien secondées, il n’existera plus dans la Vendée sous quinze jours ni maisons, ni subsistance, ni armes, ni habitants que ceux qui auront échappé aux plus scrupuleuses perquisitions. »
C’est là que le roman de Christian Chavassieux, déjà remarquable du point de vue du fond et de la forme, devient terriblement prenant. Sur quelques dizaines de pages – qui constituent le cœur tragique de l’œuvre –, il nous livre le monologue de Martin, revenu de Vendée, racontant sans ambages ce que fut vraiment cette expédition punitive, que certains esprits chagrins refusent de reconnaître comme un génocide pur et simple.
Non que l’auteur prenne parti pour les uns ou les autres, mais ses recherches l’ont conduit à cette indéniable vérité : il y a bien eu massacre de masse « sur ces terres qu’on allait jeter dans la marmite du carnage », dit le texte. Massacre restitué ici comme rarement, sous une lumière crue et implacable, débarrassée de la tradition qui veut que la Révolution ait toujours été juste.
Avec force détails, l’auteur décrit cette « guerre souillée », encore aujourd’hui taboue, puisque ceux – dont Philippe de Villiers et son excellent Roman de Charette – qui tentent de la déterrer semblent immédiatement suspects aux yeux des plus intégristes républicains.
En note, Christian Chavassieux écrit très justement : « On peut légitiment soupçonner une volonté de cacher sous le tapis ce qui gênerait les historiens bienveillants à l’endroit du mouvement révolutionnaire. »
Aussi, lire ce roman, très sérieusement documenté, est aussi relire une page un peu trop maquillée de notre histoire par les partisans sans concession de la Révolution, laquelle s’est perdue dans la folie meurtrière en Vendée.