C’est un livre plein de finesse qu’a écrit Michael Lucken, et les éditions Perrin lui ont offert l’élégant écrin qu’il méritait. Il dessine avec précision les contours de la culture japonaise, que l’homme européen connaît si mal ou à travers les traits grossiers de la caricature. Ainsi, le cliché du pays des formes épurées à l’extrême est contesté. Il s’agit d’une construction romantique des années 1930, en réaction aux premiers assauts de la mondialisation et de la culture de masse diffusée par l’Occident. Dérive folklorique plutôt que prolongement du Japon traditionnel donc, l’esthétique japonaise étant d’une grande richesse. Page après page, Lucken nous aide, dans une langue très belle, précise et dépouillée à nous familiariser avec ce Tout Autre que constituent l’Extrême-Orient et particulièrement l’archipel nippon.
Parmi les riches leçons délivrées par l’ouvrage, les liens très forts entre la culture japonaise et l’héritage grec ne manqueront pas de surprendre. Les Japonais – du moins les élites cultivées – entretiennent en effet une étonnante proximité avec la grande Grèce. Un héritage importé par les missionnaires jésuites au XVIe siècle et qui a laissé de profondes marques malgré les persécutions anti-chrétiennes – et donc anti-occidentales – des siècles suivants. La restauration Meiji a été décisive dans l’intensification du rapport au monde grec. Ce qu’explique brillamment Michael Lucken : « L’empire du Soleil levant a non seulement revendiqué une filiation avec la culture hellénique, mais il s’est projeté en Asie sous les traits du civilisateur athénien. » La littérature et la philosophie européennes ne sont pas délaissées. Pascal est lu et commenté. Les figures littéraires de Don Quichotte, Hamlet, Robinson Crusoé, Faust et Méphistophélès sont connues.
En conclusion, Lucken se demande, à raison, si l’opposition entre Orient et Occident a un quelconque sens lorsque l’on traite du Japon. Des traits communs aux deux univers s’y trouvent bien souvent mêlés, dans une Weltanschauung rendue encore plus singulière par les privilèges de l’insularité. Les samouraïs évoquent la chevalerie médiévale, les grands drames de la littérature japonaise sont comme les frères jumeaux des grandes œuvres du Vieux Continent. Cette proximité ambivalente avait été entraperçue par Dominique Venner dans son ouvrage testament : Un samouraï d’Occident. Le livre de Michael Lucken nous invite en tout cas à ne plus ignorer aussi impunément ce grand peuple du bout du monde, avec lequel nous pouvons partager une grande proximité de vues, à l’heure d’une lutte à mort contre les nouveaux barbares.
Japon. L’archipel du sens, par Michael Lucken, éditions Perrin, 216 pages, 24,90 euros.
Pierre Saint-Servant – Présent