Expo à Paris/ Clouzot : le chercheur d’absolu (Vidéo)

40 ans après la mort du grand cinéaste Henri-Georges Couzot, la Cinémathèque a décidé de lui rendre hommage par le biais d’une belle rétrospective. Grand nom parmi les cinéastes français du siècle dernier, il fut celui dont le travail ne laissa jamais indifférent. Porté aux nues par certains, qui voyaient en lui un puriste du cinéma, un travailleur au résultat impeccable et précis, et perçu par d’autres comme un rigoriste maladif dont la façon de tourner, si maîtrisée, enlevait toute légèreté et spontanéité, tous s’accordent à dire qu’il a marqué à jamais l’histoire du cinéma.

façon d’appréhender le septième art, dans une approche qui, au contraire, se dressera avec virulence contre toute forme de tradition et de maîtrise comme but.

Habile, il profite de l’exil des grands réalisateurs en vogue comme Jean Renoir ou encore René Clair dans les années 1940. A la libération, il est touché par une suspension de son métier à vie, mais celle-ci sera levée, à la suite de la prise de position de personnalités comme Jacques Becker ou Henri Jeanson, qui n’hésitera pas à affirmer la neutralité du cinéaste dans un texte savoureux intitulé : « Le retour du Corbeau de Clouzot ou les “cocos” contre Le Corbeau ».

« Diriger » avant tout

La Cinémathèque ne s’attache pas, dans son parcours, à s’appesantir sur ces questions politiques ou ses relations avec les autres réalisateurs. Elle propose essentiellement de suivre le cinéaste à travers un terme, essentiel pour le comprendre : « diriger ». D’abord diriger les images, bien entendu. On a parlé plus haut de la maîtrise de ses films. Tous les détails sont vus et revus. Le chef décorateur doit créer et suivre un story bord de chaque plan. Les mises en scènes et les effets d’optique deviennent ainsi presque réels. On s’y tromperait. Les Diaboliques (1955) représentent le summum d’une atmosphère cauchemardesque tant travaillée. Il dirige encore, pour notre plus grand bonheur, dans Le Mystère Picasso (1955), cherchant à saisir l’âme du peintre. Des extraits sont proposés et c’est toujours un plaisir de revoir ce documentaire, déclaré trésor national par le gouvernement français, qui nous permet de plonger au cœur même du processus créatif et de la sacralité du geste.

Mais la direction qui fait les choux gras de la presse de l’époque, c’est celle de ses acteurs. Une légende – avérée, pour certains – dresse une image du cinéaste des plus désagréables : n’hésitant pas à rudoyer et même à maltraiter notamment ses actrices. Parmi les documents exposés, un article titre : « Clouzot a un “truc” : la crise de nerfs. » S’en suit une description des manœuvres du cinéaste : cherchant à avoir une unique prise parfaite, il joue alors avec Brigitte Bardot, sur le tournage de La Vérité. « Lorsqu’après plusieurs heures de tournage manqué, Brigitte éclate en sanglots, Clouzot flatte l’épaule de sa vedette : “Bravo Bribri, c’est bien comme ça…” Et se retournant vers son assistant il murmure : “Moteur !” » Celui qui fait tout pour mettre ses acteurs en condition aurait poussé Jean Lefevre à se saouler pour jouer la scène du deuxième classe ivre dans Les Diaboliques. On lui attribuera cette phrase : « Si on veut capter la souffrance psychologique de l’acteur, il faut le faire souffrir. » Cette réputation, il la nourrit. C’est une façon de se mettre en scène et d’exister médiatiquement.

Soulever les tabous

Ce flou entretenu entre le réel et le joué est poussé à l’extrême quand il met en scène la maladie de sa femme Vera dans une scène des Diaboliques. Elle permet surtout de mieux comprendre sa démarche. Pour Noël Herpe, historien du cinéma et commissaire de l’exposition, Henri-Georges Clouzot est un « souleveur de tabous ». Il analyse, comme on le fait pour les insectes, les rapports entre les hommes et les femmes. Chez lui, pas de présomption d’innocence, même les enfants sont des salauds. Cette exposition très riche en extraits de film, en documents de presse ou en témoignages d’acteurs, permet d’humaniser ce « génial mais machiavélique » metteur en scène, et de goûter à nouveau à ses œuvres, intactes dans leur modernité.

Dominique Bourcier – Présent

  • « Le Mystère Clouzot », à la Cinémathèque de Paris, jusqu’au 29 juillet 2018.

Photo en Une : H-G Clouzot, Brigitte Bardot et Jean-Paul Belmondo, préparation de La Vérité.

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