Les politiques devraient méditer le discours de Seguin sur Maastricht!!!

 

Il y a cinq ans, le 7 janvier 2010, Philippe Séguin disparaissait.
Au-delà du souvenir d’une personnalité chaleureuse, engagée et intègre, nous aimerions rendre un court hommage à l’homme politique visionnaire qu’il fut, respecté et admiré pour son attachement à son pays et sa ville d’adoption (Epinal), mais hélas moins écouté et surtout peu compris pour ses positions gaullistes, sociales et souverainistes jugées alors, bien à tort, incompatibles avec une France «moderne et ouverte au monde».

Nul doute que l’histoire politique française retiendra en priorité des écrits et discours prononcés dans le cadre des nombreuses fonctions publiques exercées par cette force de la nature, son fameux discours du 5 mai 1992 devant l’Assemblée Nationale. Pendant près de deux heures et demi, «jusqu’à l’aube», en un combat ressemblant étrangement à celui de la fable, Philippe Séguin lutta pied à pied pour convaincre les députés des risques politiques, sociaux et économiques découlant des transferts de souveraineté massifs (notamment la monnaie) au profit d’une Europe proto-fédérale via l’adoption du traité de Maastricht. Avant de rendre les armes non pas devant la cruauté d’un quelconque loup de passage mais le suffrage référendaire acquis d’extrême justesse (51% pour la ratification du traité en septembre 1992) sur la base de convictions parfois sincères mais aussi de peurs et fantasmes agités comme aujourd’hui dès lors qu’est évoqué le sujet européen.
La relecture de ce discours est assez sidérante: les risques présentés par Philippe Séguin se sont produits, les manœuvres et arguments pour tordre le bras aux électeurs et mettre les peuples devant le fait fédéral accompli sont toujours les mêmes.

Les risques d’abord: pas seulement le fameux «Munich social» (expression qui ne figure pas dans le discours) mais le retour des féodalités et le nationalisme:
-le chaos social en raison du chômage de masse, l’emploi devenant, avec la monnaie unique et le contrôle draconien de l’inflation par une banque centrale de culture germanique, la seule variable d’ajustement dans une mondialisation alors à ses débuts. Les quelques extraits du discours sonnent comme des prédictions d’oracle: «le refus de dévaluation se paie du blocage de l’investissement et de l’explosion du chômage», «l’aliénation de notre politique monétaire entraîne l’impossibilité de conduire une politique autonome», «la normalisation de la politique économique française implique à très court terme la révision à la baisse de notre système de protection sociale, qui va rapidement se révéler un obstacle rédhibitoire, tant pour l’harmonisation que pour la fameuse convergence des économies», «dès lors que dans un territoire donné il n’existe qu’une seule monnaie, les écarts quelque peu significatifs de vie entre les régions qui le composent deviennent vite insupportables».

Certes, les décisions politiques (ou ce qu’il en reste en vertu du principe de «subsidiarité inversée»), prises ou éludées notamment en matière fiscale et sociale par nos élus nationaux depuis 1992 ainsi que le court-termisme d’un capitalisme dévoyé (aucune vision à plus de six mois avec pour seul objectif la «maximization of shareholder value») n’ont vraiment pas aidé mais le principe fondateur énoncé clairement par Philippe Séguin est là: «la politique monétaire choisie par la France joue au détriment des salariés et disqualifie les investissements à long terme.» Cruelle prédiction alors qu’ «on nous annonce que la monnaie unique créera des millions d’emplois nouveaux, jusqu’à 5 millions selon M. Delors»…

Le retour des féodalités: «L’Etat fédéral européen (…) serait un Etat arbitraire et lointain dans lequel aucun peuple ne se reconnaitrait. Les plus lucides des fédéralistes européens le savent bien et ont une réponse toute prête. Il s’agit d’une Europe des régions laquelle présente l’avantage (…) de mettre hors-jeu les Etats nationaux»; or, selon l’orateur: «Il n’y a aucune place pour des nations vraiment libres dans un Etat fédéral; une nation de nations est une contradiction dans les termes, rien de plus.»
-le nationalisme: effet paradoxal des zélotes du fédéralisme qui agitent le spectre du nationalisme alors que leur autisme le renforce: «Craignons alors que pour finir les sentiments nationaux ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin», «Qu’on y prenne garde: c’est lorsque le sentiment national est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives nationalistes et à tous les extrémismes!»

Occasion pour Philippe Séguin d’établir un champ sémantique indispensable, qui devrait encore servir de bréviaire au personnel politique: «le sentiment national n’est pas le nationalisme (…) La nation, ce n’est pas un clan, une race, une tribu. La nation c’est plus fort encore que l’idée de patrie, plus fort que le patriotisme, ce noble réflexe par lequel on défend sa terre natale, son champ, ses sépultures», «On ne vote pas dans un pays parce qu’on y habite mais parce que l’on veut partager ses valeurs et son destin». Et enfin, «On parle d’identité lorsque l’âme est déjà en péril (…) lorsque les repères sont déjà perdus. La quête identitaire (…) est le réflexe défensif de ceux qui sentent qu’ils ont déjà trop cédé.», phrase ô combien prémonitoire alors qu’en 1992, les questions liées au communautarisme n’étaient encore qu’en germe.

Les manoeuvres ensuite:
-L’intimidation d’abord: «Qui veut se démarquer du culte fédéral est aussitôt tenu par les faiseurs d’opinion au mieux pour un contempteur de la modernité, un nostalgique ou un primaire, au pire pour un nationaliste forcené tout prêt à renvoyer l’Europe aux vieux démons qui ont si souvent fait son malheur.» Cette réflexion pourrait dater d’hier, certain auteur au récent succès retentissant pouvant certainement en témoigner…

-Le fait accompli ensuite: «Les tenants de la relance et autres théoriciens de l’autre politique économique expliquent doctement qu’il n’existe pas d’alternative à Maastricht». Ce précepte TINA (There Is No Alternative) est aujourd’hui «curieusement» tenu par les tenants de l’austérité…
-Le coût d’une remise en cause des accords en outre: «Quand du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et demain aucune majorité parlementaire (…) ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui a été fait». Le fameux «effet cliquet», découlant du fait accompli, tant vanté en matière sociétale. On peut toutefois estimer que sur ce point, au vu des développements récents (possible sortie de la Grèce de l’Euro, référendum au Royaume-Uni et entrée en vigueur en 2009 de l’article 50 du TUE instituant une faculté de sortie de l’UE), le caractère irréversible du fédéralisme et de l’Union même évoqué par Philippe Séguin n’est plus aussi certain.
Selon lui, la République a pour maxime: souveraineté du peuple, appel à la liberté et espérance dans la justice. Et autant la République n’est pas séparable de la Nation, autant la souveraineté ne se partage pas.

-Et l’argument final sur la paix mondialisée: «Voilà qu’on nous assure que Maastricht serait la condition de la paix et de la prospérité ce qui signifierait par là même que son échec équivaudrait à la régression et à la guerre (…) l’évolution des choses conduirait nécessairement vers un monde sans frontières, chacune de celles-ci constituant un obstacle à l’efficacité, une entorse à la rationalité, une entrave à la prospérité». «On nous presse de nous souvenir des conflits qui ont ensanglanté notre continent». A ces arguments rabâchés, Philippe Séguin répond par des analyses historiques et philosophiques bien senties: «Force est de reconnaître que dans notre siècle, plus de malheurs nous sont venus des grandes idéologies et des impérialismes dominateurs que des ambitions nationales (…) Finissons-en avec cette vue naïve des choses qui voudrait nous faire croire que la disparition des Etats-Nations signifierait la fin des conflits armés, la paix perpétuelle d’Emmanuel Kant, lequel ne la concevait d’ailleurs que comme une paix entre Etats souverains». Une fois encore, les conflits ethniques et épurations religieuses en cours donnent amplement raison à Séguin dont le tempérament bouillant s’exprimait ainsi: «Qu’on veuille bien cesser de considérer les réfractaires et les adversaires du traité comme autant de fauteurs de guerre et d’irresponsables!»

-Les propositions enfin: elles tiennent en premier lieu en une conception profondément républicaine et démocratique de la vie politique. Selon Philippe Séguin, digne héritier du Général de Gaulle, la démocratie se confond avec la souveraineté populaire. Selon lui, la République a pour maxime: souveraineté du peuple, appel à la liberté et espérance dans la justice. Et autant la République n’est pas séparable de la Nation, autant la souveraineté ne se partage pas.
Philippe Séguin appelait de ses vœux une Confédération européenne, c’est-à-dire une structure institutionnelle et juridique bien plus souple qu’une Union fédérale.
L’orateur ne niait en aucun cas le fait européen: «Cette conscience existe; il y a quelque chose comme une civilisation européenne au confluent de la volonté prométhéenne, de la chrétienté et de la liberté d’esprit». Mais pour l’orateur, cela ne suffit pas à créer une nation, une souveraineté. On ajoutera: surtout si les institutions représentant cette conscience en nient les fondements, notamment chrétiens!

Il ne nie pas non plus que la libéralisation et l’internationalisation des échanges soient nécessaires. Mais cette nécessité ne doit pas mener à une perte de souveraineté au profit d’une structure technocratique déconnectée des peuples, à réduire le rôle de l’Etat à celui d’une entreprise, à l’ «obsession des équilibres comptables, qui est la marque du conservatisme le plus profond.» Il ne nie pas enfin certains des bienfaits de la CEE mais pour souligner le fait que ces bienfaits datent d’une époque où ils résultaient non d’un carcan de règlementation et directives mais de coopérations volontaires entre états sur des projets spécifiques dans lesquels la souveraineté pouvait être déléguée parcimonieusement et de manière temporaire.
En résumé, Philippe Séguin appelait de ses vœux une Confédération européenne, c’est-à-dire une structure institutionnelle et juridique bien plus souple qu’une Union fédérale. Débat comparable, en-dehors bien évidemment des spécificités historiques liées à l’esclavage, à celui qu’ont connu les Etats-Unis et les Etats Confédérés d’Amérique il y a 150 ans.
Formons le vœu en ce début d’année que le prophétique discours de Philippe Séguin soit relu par les dirigeants européens afin que nous ne connaissions pas une issue dramatique lorsque les inéluctables remises en cause des schémas européens auront lieu.

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