La Bretagne, l’amitié et une certaine vision de la littérature les liaient. Dans ce petit recueil de textes, Philippe Le Guillou s’adonne à un touchant exercice d’admiration et de reconnaissance envers le mythique auteur du Château d’Argol et du Rivage des Syrtes. L’auteur parle de son grand aîné comme seul un écrivain peut parler d’un autre écrivain, avec finesse, empathie, subtilité, délicatesse et décence. Nous ne sommes pas ici dans le registre des révélations intimes ni du panégyrique sans nuance mais dans l’évocation sensible, à la fois amicale et littéraire.
Sous la plume de Le Guillou, Julien Gracq renaît dans sa grandeur mais aussi dans son mystère, son humilité, son originalité, sa distance vis-à-vis d’un « milieu littéraire » dont il ne sera jamais vraiment et dont il condamnait assez durement les petitesses, les vanités et les ridicules. « Seul, libre, fidèle : tel il était. Fidèle à sa famille, à ses intercesseurs, à son éditeur, à cette Loire sablonneusement inquiète qui fut sa compagne de toujours », nous dit Le Guillou. Un portrait en effet à mille lieues des coruscantes pitreries et des carriérismes sans honneur qui constituent désormais, encore plus qu’hier, l’essentiel de la « vie littéraire » hexagonale. « Il aimait les magnifiques, les porteurs d’aigrette, ceux qui avancent nimbés, mais il n’était pas de leur galaxie. Il était de la constellation des veilleurs discrets et fidèles », précise encore l’auteur. Fidèle tout d’abord en amitié, notamment celles qui le lièrent à André Breton et Henri Quéffélec, qui ne se démentirent jamais malgré des choix stylistiques et intellectuels divergents, et dont Philippe Le Guillou parvient à retranscrire la pudique profondeur et le merveilleux enrichissement mutuel qu’elles représentèrent.
Tout au long de ces brèves (mais riches en détail, choses vues et anecdotes) évocations, le lecteur est amené à suivre à pas feutrés l’itinéraire sensible du grand créateur et referme l’ouvrage en n’ayant nulle autre envie que celle de rejoindre Gracq à la frontière d’une improbable zone limite pour monter avec lui une garde onirique dans l’attente d’un possible surgissement. Si l’objectif de Philippe Le Guillou était de continuer à faire vivre et croître la « société secrète » des lecteurs de Gracq, il a amplement réussi sa mission.
Xavier Eman
A Argol, il n’y a pas de château, Philippe Le Guillou, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 110 p., 18 euros.
Lu dans Présent