Le Français Jean-Pierre Sauvage vient de se voir attribuer le prix Nobel de chimie en compagnie de l’Écossais Fraser Stoddart et du Néerlandais Bernard Feringa, pour leurs travaux sur les machines moléculaires.
Ce sont trois spécialistes des machines moléculaires que l’Académie royale des sciences de Suède vient de distinguer par le prix Nobel de chimie 2016 : Jean-Pierre Sauvage, Fraser Stoddart et Bernard Feringa. Ces scientifiques « ont développé les plus petites machines du monde (…), des molécules aux mouvements contrôlables, qui peuvent accomplir une tâche lorsqu’on y ajoute de l’énergie », explique le communiqué publié lors de l’annonce des lauréats du prix 2016. « L’Académie ne s’est pas trompée : elle récompense bien trois pionniers majeurs de ce champ de recherche émergent, se félicite le chimiste Gwénaël Rapenne, aujourd’hui professeur à l’Université Paul Sabatier à Toulouse et qui a effectué son doctorat sous la direction de Jean-Pierre Sauvage. Ce prix va susciter un regain d’intérêt mérité pour ce domaine particulièrement prometteur ».
Le Français Jean-Pierre Sauvage, né en 1944, a mené ses recherches au CNRS de 1971 à 2014 et est aujourd’hui professeur émérite à l’université de Strasbourg. Le chimiste a effectué sa thèse à l’université de Strasbourg sous la direction de Jean-Marie Lehn (futur prix Nobel de chimie, en 1987). Il intègre le CNRS en 1971, puis effectue son post-doc à Oxford de 1973 à 1974 et devient directeur de recherche en 1979. Médaille d’argent de l’organisme en 1988, Jean-Pierre Sauvage travaille à l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires1.
Même si le physicien Richard Feynman avait prédit dès les années 1950 le développement des nanomachines, l’Académie suédoise rappelle que les premiers pas significatifs vers une machine moléculaire ont été effectués par Jean-Pierre Sauvage en 1983 lorsqu’il a inventé une méthode chimique permettant d’entrelacer deux molécules en forme d’anneaux, formant ainsi une chaîne nommée caténane. D’ordinaire, les molécules sont reliées entre elles, par des liaisons covalentes fortes, dans lesquelles les atomes partagent leurs électrons. Ici, les liaisons entre les deux anneaux étaient de nature totalement différente, ceux-ci étant imbriqués l’un dans l’autre. De même, une machine, pour pouvoir fonctionner, doit être composée de différentes parties, mobiles les unes par rapport aux autres… comme les deux anneaux déjà obtenus par le chimiste français, qui ont donc préfiguré les progrès des années suivantes.
Jean-Pierre Sauvage a notamment mis au point une réaction au rendement dix fois supérieur à celui des réactions connues précédemment : les chaînes moléculaires cessaient dès lors d’être une simple curiosité. Et la possibilité de les fabriquer de manière fiable a tout naturellement conduit Jean-Pierre Sauvage à concevoir et élaborer des nanomachines. « Même si Jean-Pierre Sauvage et Fraser Stoddart, qui ont à plusieurs reprises collaboré, se sont distingués par la mise au point de procédés de synthèse chimique inédits, c’est pour le développement de véritables machines moléculaires qu’ils sont récompensés ici ! » tient à préciser Gwénaël Rapenne, membre du groupe NanoSciences au sein du laboratoire CEMES2 à Toulouse.
Les molécules-voitures font aujourd’hui partie des machines moléculaires les plus connues. Mais ce ne sont pas les seules… « Ce prix Nobel va permettre d’accélérer les avancées d’une discipline qui relève encore de la recherche fondamentale, non seulement en suscitant des vocations chez les jeunes chercheurs, mais aussi en attirant l’attention des industriels, espère Gwénaël Rapenne. Les premières applications devraient ainsi voir le jour d’ici dix à quinze ans, par exemple dans le domaine de la robotique avec la mise au point de moteurs moléculaires reproduisant le fonctionnement des muscles comme le laissaient prévoir les travaux de Jean-Pierre Sauvage ». En 2012, CNRS Le journal consacrait ainsi un dossier à la bio-inspiration, dans lequel un passage relatait les travaux de Jean-Pierre Sauvage. Extrait que nous reproduisons ci-dessous :
Des moteurs qui ont du muscle
Et s’il était possible d’imiter le muscle dans ses détails les plus fins ? C’est l’un des paris relevés il y a quelques années par les chercheurs de l’Institut de chimie de Strasbourg3, qui poursuivent leurs efforts pour développer des dispositifs appelés moteurs moléculaires. « En 2000, nous avons synthétisé un premier moteur qui mime le glissement des filaments d’actine sur ceux de myosine4 dans les muscles, raconte Jean-Pierre Sauvage, pionnier dans ce domaine. La contraction ou l’allongement de notre système se produit grâce à une réaction chimique appropriée. »
Aujourd’hui, le laboratoire alsacien poursuit ces travaux en assemblant un polymère à partir d’un moteur moléculaire initial optimisé. « On pourrait envisager d’utiliser de tels systèmes dans la fabrication de dispositifs électro-, photo- ou chimio-mécaniques, mais il s’agit pour le moment de mimer le fonctionnement du muscle ; il est prématuré de parler de bionique », prévient Jean-Pierre Sauvage. Des moteurs d’un autre genre sont également sur l’établi. « Nous mimons le fonctionnement des protéines chaperons. Celles-ci accueillent dans leur cavité naturelle des enzymes qui ne sont plus actives, car ayant subi des déformations. Grâce à une sorte de massage, la protéine chaperon leur redonne leur forme initiale. En nous inspirant de ce mécanisme, nous avons créé un compresseur moléculaire capable de capturer une molécule et d’en modifier la forme. »