Quand Buisson parle pour la cause du peuple: 70 000 exemplaires vendus en une seule journée ! Le livre de Patrick Buisson, La Cause du peuple, est d’ores et déjà un énorme succès, et un événement politique majeur. Sarkozy en sait quelque chose ! Mais les lecteurs risquent d’être pour le moins étonnés, voire déroutés, tant est immense le décalage entre ce que les médias nous disent de Buisson et de son livre, et la réalité.
En ouvrant La Cause du peuple, on s’attend à découvrir l’Elysée vu par un trou de serrure, pour des révélations au-dessous de la ceinture, et en toute hypothèse la révélation de conversations scabreuses et de formules à l’emporte-pièce et assassines, dues à l’ancien président, à ses épouses successives, à son entourage.
Roselyne Bachelot, par exemple, commentant le livre (qu’elle n’a visiblement pas lu, sauf les trois lignes qui lui sont consacrées, mais lit-elle ?) parle d’une « odieuse trahison » et d’une « infâme conspiration », de « moyens abjects », de « parole irrecevable ». « Son livre devrait donc avoir le destin des lettres anonymes et finir à la poubelle » (Var Matin, 2 octobre 2016). Une autre commentatrice, à la radio, nous expliquait, jeudi dernier, qu’il s’agissait du livre d’un « ignoble maître-chanteur ». Comme si les maîtres-chanteurs publiaient les secrets qu’ils détiennent : ce serait tuer la profession !
Et c’est là que nombre des 70 000 premiers acheteurs risquent d’être déçus. La Cause du peuple n’est pas La Cause du people. Les enregistrements de conversations pèsent pour rien dans le livre.
On s’attend à un Closer à l’échelle présidentielle, et Buisson nous livre – certes, à partir du décorticage des deux candidatures successives de Sarkozy en 2007 et en 2012 et de l’analyse de son quinquennat – une formidable réflexion historique et philosophique sur le pouvoir, et sur la parole et les actes des grands de ce monde.
Il est de bon ton, dans la droite nationale aussi, et non sans raison, au fond, de critiquer Buisson, le « traître », car il a en effet siphonné une partie des voix de Le Pen au profit du candidat Sarkozy. Mais en lisant La Cause du peuple, cette « histoire interdite de la présidence Sarkozy », on comprend aussi quels espoirs a pu faire naître le Sarkozy de 2007 chez beaucoup d’électeurs authentiquement de droite, et le niveau de déception d’un Buisson.
Les virages de Sarko
Buisson nous raconte de l’intérieur les incroyables virages idéologiques de Sarkozy, dont les convictions semblent liées, bien trop souvent, aux sondages, d’une part, et au « qu’en dira-t-on » d’un entourage assez restreint, appartenant au showbiz ou au CAC 40, d’autre part.
Et ce côté bling-bling qui colle à la peau de Sarkozy depuis le soir même des élections présidentielles de 2007 n’est pas, hélas ! le seul fruit de la méchanceté d’un monde médiatique qui lui a certes été toujours largement hostile.
Une vengeance, le livre de Buisson ? Probablement pas. Ce n’est pas, en tout cas, l’impression qu’en laisse sa lecture, à condition de réellement lire ses 450 pages et de ne pas se contenter de répéter ce que les médias en disent, en boucle. Une phrase de Sarkozy, toutefois, et une seule, a blessé Buisson. Elle est formulée ainsi : « J’en ai connu des trahisons, mais rarement comme celle-là. » C’était la phrase de trop, et le livre est certes bâti comme une sorte de réponse à ce jugement à l’emporte-pièce sans qu’on puisse parler pour autant d’un plaidoyer pro domo.
Car on pourrait retourner le compliment à ce Sarkozy pour lequel tant d’électeurs de droite se sont mobilisés, en tout cas en 2007 : « J’en ai connu des trahisons, mais rarement comme celle-là. » C’est la vraie et unique leçon du livre de Buisson : Sarkozy, par son zapping idéologique, par sa fascination de la seule réussite matérielle, par son manque de verticalité, a trahi ses électeurs. Et cela, le livre de Buisson le démontre implacablement.
Le traître de cinéma
Encore une fois, nous avons, avec La Cause du peuple, un ouvrage d’une étonnante portée, un ouvrage qui restera, quand Madame Bachelot, qui n’était déjà pas grand-chose, ne sera même plus un vague souvenir chez les plus vieux militants RPR-UMP-LR.
Il ne s’agit pas, à ce stade, de se lancer dans une défense et illustration de l’action passée de Buisson. D’autant que Buisson n’est pas un homme d’action, c’est un intellectuel de haute volée, qui a pu séduire un temps cet homme politique surdoué qui lui était son exact opposé.
Le livre de Buisson parle pour lui. Et l’homme qui connaît si bien Céline, Gustave Thibon, Sacha Guitry, le vieux Paris, les guerres d’Indochine et d’Algérie, la Vendée militaire, ou encore les écrivains qui racontent la Première Guerre mondiale, un homme à la culture aussi vaste et éclectique, ne peut être « la réincarnation de M. le maudit de Fritz Lang et le spectre du monsieur Hire de Simenon », n’en déplaise aux centaines de commentateurs-dénonceurs du système.
Avec son crâne chauve, ses yeux perçants et son incroyable culture d’homme de droite, Buisson est certes le méchant parfait, le traître de cinéma. Mais comme ses 70 000 premiers lecteurs, faites-vous une religion. Lisez son livre, et surtout ne vous laissez pas dicter votre opinion par les mêmes qui nous expliquent – contre la voix du peuple, à présent – ce qu’il faut penser de Poutine et de Trump, de Maastricht et de Calais, des Autrichiens, des Hongrois et des Polonais…
La Cause du peuple, par Patrick Buisson, Perrin, 2016.
- Francis Bergeron – Présent