On se rappelle la une du Point, mi-août, consacrée aux « penseurs les plus influents du monde », avec ce sous-titre : Et si les nouveaux Platon et Aristote étaient dans la Silicon Valley ? Etaient anoblis, entre autres, Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook mais aussi Bill Gates, le fondateur de Microsoft. La qualité d’une pensée serait-elle désormais corrélée au compte en banque ? Voilà qui pourrait paraître choquant…
En réalité, ces milliardaires ont une influence non négligeable dans les changements qu’ils peuvent apporter à la société. Bill Gates, Jack Welch, qui fut PDG de General Electric durant vingt ans, et Richard Branson, fondateur britannique de Virgin, ont investi dans la start-up Memphis Meats. Celle-ci fabrique de la viande à partir de cellules animales. De la viande… artificielle. Sise dans la Silicon Valley, Memphis Meats fabrique depuis 2015 de la viande dite « propre », à partir de cellules musculaires animales, sans élever ni abattre de bétail ou de volaille.
L’idée qui préside à cette production est l’intégration du « défi environnemental, la protection des animaux, et la santé des hommes », lit-on sur leur site internet. « La même viande délicieuse que nous avons toujours connue », osent-ils même inscrire, comme un slogan. Pour le Wall Street Journal, Memphis Meats est « la start-up qui sert du poulet depuis le labo ». Appétissant… Et c’est là que nos « penseurs » légitiment le projet. Richard Branson est persuadé que dans trente ans, nous n’aurons plus besoin de tuer des animaux. « La viande, qui sera uniquement propre ou à base de plantes, aura le même goût et sera plus saine pour tout le monde », explique-t-il en interview à la chaîne de télévision Bloomberg. Alors que croissent la consommation de protéines végétales et de produits biologiques, ainsi que la tendance au végétarisme et au véganisme, les gens aiment toujours manger de la viande, particulièrement aux Etats-Unis, où on en consomme plus qu’en France.
« La manière de produire la viande conventionnelle est source d’enjeux majeurs pour l’environnement, la protection animale et la santé humaine », explique Uma Valeti, le cofondateur de Memphis Meats. La « viande » est ainsi élaborée à partir de cellules animales vivantes auto-productrices, alimentées en oxygène, en sucre et en nutriments. Les géants de l’agroalimentaire s’intéressent aussi au projet, comme l’entreprise Cargill qui est devenue la première productrice de viande à investir dans cette nouvelle technologie. Tyson Foods, le plus gros producteur de viande aux Etats-Unis, a lui aussi investi en décembre dernier dans la start-up Beyond Meat, qui produit des substituts alimentaires à base de plantes. Au noble motif de protéger les animaux et la planète, on crée un aliment fabriqué en laboratoire, qui n’a plus rien de naturel. Comment expliquer que l’on concilie la tendance du « bio » et celle du « tout artificiel » ? Cette dernière mode, née aux Etats-Unis, se heurte pour le moment aux habitudes alimentaires des Européens. Seulement, notamment grâce aux traités de libre-échange, ce type de produits pourrait bientôt être importé en France… On n’a pas tellement hâte.