Le style c’est l’homme, disait (à peu près) Buffon. S’il est un homme auquel la sentence s’applique à merveille, c’est bien Jacques Perret. Est-ce à dire que le romancier Perret se met en scène dans chacun de ses livres ? Non, évidemment, même si ceux qui l’ont connu reconnaisse son ombre derrière ses personnages. Plus exactement, la vie même de Jacques Perret constitue à elle seule un roman aux épisodes étonnants, farfelus parfois, tragiques également, mais roman d’une rare intensité, d’une stupéfiante inventivité. Ce roman vrai commence à Trappes en septembre 1901. De son père, il hérite le goût de l’histoire qui fera de lui un Mérovingien perdu dans notre époque. Sa célèbre moustache gauloise s’enracine profond dans ses souvenirs, quand il s’imaginait « enfant de chœur au baptême de Clovis » ou « petit gaulois demi-nu à chantonner son ‘béaba’ en paissant des cochons noirs ».
Le nomade
À 20 ans, il s’engage au 29e régiment des Tirailleurs algériens. Il y découvre une civilisation et un pays différents. Il quitte pourtant l’armée, retrouve Paris et avec la capitale, les études. Histoire et philosophie forment son programme. Comme le crayon et le pinceau le démangent également, il dessine, se lance dans l’aquarelle et dans la gravure sur bois. Il expose et vend son œuvre. Il rejoint aussi l’édition, en devenant représentant des éditions Bellin. Il bouge encore et devient professeur. Jacques Perret engrange les matériaux si nécessaires au romancier, acquiert l’expérience de l’humain dans sa diversité. Écrit-il, alors ? En 1925, il collabore à la presse quotidienne comme grand reporter. Son panorama s’élargit. Il conquiert le globe et le met à sa portée. Il reste cependant assoiffé d’aventure, de croisade, d’exploits. Sans aucun doute, Jacques Perret était né pour un siècle de conquête alors qu’il vivra en une époque d’abandon et de recul. Sa « plus belle aventure » reste à venir. C’est la Guyane, en 1930. Séduit par ce pays, il l’explore de fond en comble, se faisant géographe, cartographe, prospecteur d’or, ethnographe. On retrouve la Guyane dans le recueil L’Aventure en bretelle (Le Dilettante). Le même livre contient Un Blanc chez les Rougesdont l’avant-propos est signé par Jean-Baptiste Chaumeil, véritable spécialiste de l’œuvre de Perret, dont il entretient la mémoire avec talent. Paradoxe : Perret le nomade, en rentrant en métropole, se sédentarise. À peine marié, il tente un « retour à la terre » en Touraine, en se lançant dans l’exploitation d’une ferme. Il profite de son temps pour écrire un premier roman, Roucou. Remarqué par Malraux, remanié à sa demande, il est publié chez Gallimard.
Revenu en ville, Jacques Perret voit sa nouvelle vie contrariée par un certain Hitler. Engagé dans un corps franc, récompensé par la Médaille militaire et la Croix de guerre avec palme, le caporal Perret se retrouve aussi prisonnier. À force de tenter de s’évader, il y parvient, retrouve Paris, sa femme et prend la direction du maquis.
« Prends ton fusil, Grégoire »
Dans Bande à part – couronné par le Prix Interallié en 1951 –, il décrit cette aventure :
« Naturellement, à force de hanter les chemins creux avec un tromblon à l’épaule et de nicher dans les haies, mon petit délire personnel travaillait plutôt du genre : ‘prends ton fusil, Grégoire’, et nous étions même une demi-douzaine de copains, dont deux Barbaresques, à montrer sur nos vareuses de toile bise un cœur chouan (…). Ce n’était pas pour faire de l’agitation, mais histoire de me mettre en règle avec mes préjugés et de mieux copiner avec les champions de ma foi ».
Jacques Perret, écrivain d’aventure et de rêve, maître de la langue, plein de gouaille, nostalgique joyeux, a épousé de toutes ses forces les querelles de son temps. Dans la Résistance d’abord au sein de l’Ora, dans les colonnes du journal monarchiste Aspects de la France ensuite, pour l’Algérie française encore, lequel combat lui vaudra d’être quatre fois condamné pour offense au chef de l’État. Dans la revue Itinéraires, enfin. Ses engagements correspondaient à sa conception de la vie et
Serviteur de la langue
Il a résumé le sens de son existence un soir, lors de l’émission télévisée «Apostrophe », en lançant devant des invités ébahis par le propos, l’audace et le raccourcis : « Je suis pour le Trône et l’Autel ». Tout était dit.
Il serait vain de résumer l’œuvre de Perret. Un livre de Perret se déguste comme on boit un bon vin. On admire la robe, on en goûte la saveur et les particularités, on tente d’en deviner le terroir et l’année. On l’apprivoise comme on se laisse apprivoiser par lui. Dans ce « Château » de haut lignage, tout est bon, même si certains crus le sont plus que d’autres. Le Caporal épinglé (1947) forme la chronique de ses tentatives d’évasion. Un récit minutieux constamment soutenu par un style savoureux. Il sera adapté pour le grand écran en 1961 par un maître du cinéma, Jean Renoir. Avec Le vent dans les voiles (1948) Perret honore la Royale et le muscadet, à travers des scènes truculentes et épiques, avec une richesse de vocabulaire incroyable. Citons enfin Rôle de plaisance (1957), qui devient à force de digression un véritable manuel de nautisme. Jacques Perret est décédé en décembre 1992 dans la discrétion. Véritable anarchiste du roy, frondeur et indépendant, Jacques Perret laisse à travers une œuvre variée la preuve essentielle que la langue française, dans sa rigueur et sa richesse, permet les plus beaux jeux.