À Athènes, une équipe d’archéologues enquête sur une scène de crime bien particulière: une nécropole datant du VIIIe au Ve siècle avant notre ère, où une centaine de squelettes enchaînés, portant les signes d’une mort violente, a récemment été découverte.
Qui étaient-ils et pourquoi ont-ils été tués? À Athènes, une enquête a été ouverte après la découverte d’une centaine de squelettes portant les signes d’une mort violente survenue il y a plus de 2.500 ans.
La scène du crime: une vaste nécropole utilisée du VIIIe au Ve siècle av. J.-C. dans le quartier balnéaire du Phalère, l’ancien port de la cité grecque. Là, pas de monuments ou d’épigraphes comme dans l’autre cimetière antique athénien du Céramique, mais de simples tombes creusées dans un sol sableux, côtoyant, dans un apparent désordre, des restes de bûchers funéraires et des jarres, les «cercueils» de l’époque pour les nouveaux-nés et jeunes enfants. C’est dans ce site destiné aux sans-grade de la grande histoire – contrairement au Céramique au pied de l’Acropole – que les archéologues ont mis au jour depuis 2012 d’étranges squelettes. Les mains liées, dans le dos ou sur le ventre, les pieds parfois entravés, certains reposaient même face contre terre comme en forme d’ultime outrage.
Les trouvailles ont culminé au printemps 2016 avec l’ouverture d’une tombe contenant les restes de 80 hommes enchaînés, une découverte «sans équivalent» en Grèce, selon l’archéologue chargée des fouilles, Stella Chrysoulaki. Jeunes et bien nourris, selon les premiers indices fournis par leur dentition, ils étaient alignés sur trois rangées, certains sur le dos, d’autres sur le ventre, cinquante-deux d’entre eux allongés les bras levés.
Une exécution politique?
Achevés d’un coup sur le crâne, ils ont manifestement été victimes d’une «exécution politique», qui a pu être datée, d’après deux pots retrouvés dans la tombe, de 675 à 650 ans av. J.-C., explique Mme Chrysoulaki.
Cette période «est celle de la formation de la cité-État et de la transition vers la démocratie, sur fond de forts troubles politiques, de tensions entre tyrans, aristocrates et classes laborieuses», relève la bioarchéologue Eleanna Prevedorou, qui mène l’enquête «médico-légale» sur ces morts antiques à l’École américaine d’archéologie d’Athènes.
Selon une hypothèse envisagée par les archéologues, sur la base des récits des auteurs antiques Hérodote et Thucydide, les défunts pourraient être les partisans de l’aristocrate et ex-champion olympique Cylon, massacrés par le puissant clan rival des Alcméonides après une tentative ratée d’imposer une tyrannie.
Pour tenter de résoudre l’affaire, «nous allons employer en gros toutes les méthodes rendues célèbres par les séries télévisées de police scientifique», s’amuse Panayotis Karkanas, directeur de l’ultramoderne laboratoire Malcom Wiener abrité par l’École américaine. Une batterie d’analyses, génétiques, radiographiques, isotopiques …. doit être déployée pour recueillir tous les indices: âges, possibles liens de parenté, origines géographiques, état de santé, niveau socio-économique.
Le projet, qui s’annonce de longue haleine – de cinq à sept ans – inclut tous les autres morts de la nécropole, soit plus d’un millier au total, dont les crânes, fémurs ou thorax s’entassent jusqu’au plafond dans les réserves du laboratoire.
La bioarchéologie pour témoigner de la violence antique
Dans un coin, un squelette aux bras tordus dans le dos témoigne de la violence antique, bien loin des représentations idéalisées du classicisme grec: il pourrait s’agir d’un «captif de guerre, un criminel ou un esclave révolté», explique Mme Prevedorou. Dix des «80 enchaînés» doivent le rejoindre au laboratoire d’ici l’automne, leurs compagnons d’infortune restant sur place en vue d’une exposition future de leur dernière demeure, dans l’enceinte du centre culturel Niarchos du Phalère.
Même les morts apparemment sans histoire, et notamment les centaines d’enfants en bas âge retrouvés dans les jarres funéraires, pourront parler, de leurs modes de vie, leurs maladies, jetant plus de lumière sur l’Athènes archaïque, relève M. Karkanas. En travaillant au plus près de l’homme et de son environnement naturel, la bioarchéologie est selon lui irremplaçable pour retracer le quotidien des personnages lambdas antiques.
Les sources écrites et monumentales, de toute manière plus rares pour l’époque archaïque, témoignent surtout de l’histoire des «élites et des vainqueurs». Se référer uniquement à celles-ci pour déchiffrer le passé, ce serait comme «se fier aujourd’hui aux seuls journaux pour savoir ce qui se passe dans le monde», ajoute-t-il.